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Le Blog de Daniel HUE le Crouycien
26 mars 2015

«La sympathie pour Marine Le Pen croît avec le niveau de précarité»

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Dans une centaine d’entretiens, une douzaine de chercheurs ont établi la relation entre précarité, abstention et vote Front national.

Pour comprendre le fort taux d’abstention enregistré au premier tour des élections départementales, dimanche 22 mars, et pour saisir une partie de la désillusion dont se nourrit le Front national, il faut écouter ceux que l’on n’entend pas : travailleurs pauvres, chômeurs en fin de droits, mères seules avec enfants… Une douzaine de chercheurs ont réalisé une centaine d’entretiens approfondis avec des bénéficiaires d’aides sociales et caritatives lors de la campagne présidentielle de 2012. Articulée aux résultats d’un sondage post-électoral intégrant divers indicateurs de précarité, l’analyse de ces témoignages vient de paraître dans un livre intitulé Les Inaudibles – Sociologie politique des précaires (Presses de Sciences Po, 292 p., 24 euros). Céline Braconnier, professeure de science politique et directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, a codirigé cet ouvrage avec Nonna Mayer.

Les témoignages rassemblés dans ce livre ont été recueillis en 2012. dans quelle mesure peuvent-ils éclairer les résultats du premier tour des élections départementales ?

Nous avons travaillé pendant une campagne présidentielle, car c’est la seule échéance qui suscite l’intérêt, au moins a minima, du plus grand nombre. Même ceux qui se tiennent habituellement à distance du politique, comme c’est le cas de nombre de précaires, la suivent alors un peu. Parce qu’elles sont nettement moins mobilisatrices, les élections départementales mettent davantage en évidence la très faible participation électorale des individus en situation de précarité. S’il est moindre que ce que l’on pouvait craindre, le taux d’abstention enregistré le 22 mars confirme bien l’ampleur du non-vote qui affecte en particulier les plus fragiles. Notamment du fait de leur instabilité résidentielle particulièrement forte, nombre d’entre eux ne sont pas inscrits sur les listes électorales ou bien sont mal inscrits, à une ancienne adresse. Les précaires doutent aussi, comme l’ensemble des milieux populaires, de la capacité des élus à améliorer leur vie, et même désormais de leur volonté de le faire. Le vote a presque quelque chose d’incongru pour ceux qui savent, dès le milieu du mois, qu’ils seront dans l’incapacité de payer leurs factures et de manger à leur faim.

Quel est l’impact de leur abstention dans un tel scrutin ?

Dans les quartiers populaires et largement précarisés de Saint-Denis, bastions de gauche où nous avons mené une partie de notre enquête, l’abstention a dépassé 70 % le 22 mars. Dans un tel contexte, il suffit au FN d’obtenir une poignée de voix pour faire aussi bien que le PS ou le Front de gauche. Mais c’est surtout à la prochaine présidentielle que l’on risque de mesurer les effets de la déception engendrée par la gauche au pouvoir. En 2012, les trois quarts des précaires s’étaient rendus aux urnes portés par l’espoir d’un changement : François Hollande était parvenu à capter un tiers de leurs suffrages au premier tour, et presque les deux tiers au second. On peut douter qu’en 2017, le candidat socialiste bénéficie d’un tel soutien.

La présidente du front national, marine le pen, prétend s’adresser aux «oubliés». sa parole trouve-t-elle un écho parmi ceux que vous appelez «les inaudibles» ?

Chez ceux qui disposent de la nationalité française, la sympathie pour Marine Le Pen croît avec le niveau de précarité, de même que le partage de ses idées sur l’immigration : qu’il y aurait trop d’immigrés en France, qu’ils constitueraient une menace pour l’emploi et viendraient profiter des allocations. C’est du coût de la vie et du chômage que nos enquêtés souffrent et parlent le plus. Parce qu’ils sont en situation de concurrence pour les aides, ils reprennent la rhétorique du bouc émissaire livrée par l’extrême droite. Le faux pauvre est une figure omniprésente dans les entretiens. C’est la voisine qui vit des aides sociales et dont les enfants ont accès à la cantine gratuitement quand les travailleurs pauvres en sont privés du fait d’un tarif prohibitif ; ce sont les Roms installés gratuitement dans des camps dès leur arrivée, alors qu’il est impossible aux immigrés de longue date d’obtenir des HLM dans la ville où ils sont installés depuis des décennies ; ce sont les tricheurs qui profiteraient de la générosité des banques alimentaires en dissimulant la réalité de leur situation…

Dimanche, l’extrême droite a confirmé sa capacité à mobiliser un vote de ressentiment dans les fractions fragilisées des milieux populaires. Chez les employés et plus encore chez les ouvriers, le vote FN est d’abord le fait des travailleurs pauvres, qui ont le sentiment d’être exploités par ceux d’en haut et de payer pour ceux d’en bas.

Quel est le poids des «inaudibles» dans la société française ?

La précarité n’est plus seulement aux marges, elle frappe des segments jusque-là intégrés de la population qui «basculent» après une série de coups durs : la perte d’un emploi, une séparation, une maladie. En prenant comme critères non seulement la pauvreté monétaire mais aussi l’isolement et la privation de biens non matériels, ce sont 17 millions de personnes – soit un tiers de la population française – qui sont affectées aujourd’hui à des degrés divers par la précarité. L’ensemble des groupes sociaux est concerné : plus de la moitié des ouvriers sont des précaires mais c’est aussi le cas de 42 % des employés, 47 % des petits commerçants et artisans, 37 % des agriculteurs…

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