Mélenchon sur TF1 : le zoom qui fâche
Une photo postée sur Twitter contredit l'impression de foule véhiculée par les images de TF1. La Toile se moque de cette mise en scène.
C'est une photo postée par le journaliste de France 24 Stefan de Vries qui a mis la twittosphère en ébullition. Prise depuis un balcon, elle montre Jean-Luc Mélenchon lors d'une interview accordée à TF1 avant la marche "pour la révolution fiscale", dimanche 1er décembre. Sur ce cliché, le chef du Front de gauche se situe entre la caméra de télévision et un petit groupe de manifestants venus le soutenir. Jusque là, tout va bien.
Le problème, note l'auteur de la "twitpic", c'est que les images relayées par la chaîne de télévision donnent une version bien différente de la scène : à la faveur d'un zoom serré, la vidéo tournée en direct par TF1 laisse croire que Jean-Luc Mélenchon se situe devant une foule autrement plus importante.
À ce décalage avec la réalité s'ajoutent les mots de la présentatrice Claire Chazal : peut-être abusée elle-même par l'effet d'optique, elle déclare qu'on "aperçoit les gens qui se massent" derrière l'homme politique (à 4:10 sur le replay).
Le fossé visuel entre la scène photographiée par Stephan de Vries et la même scène filmée par TF1 a le don d'interpeller et d'agacer de nombreuses personnes sur Twitter, où l'on retweete massivement les deux angles de vue. Fait aggravant, "l'affaire" survient dans le contexte d'une spectaculaire guerre des chiffres : là ou la préfecture évoque 7.000 manifestants réunis contre "l'injustice fiscale", les organisateurs en revendiquent 100.000. Pour certains opposants à Jean-Luc Mélenchon, l'affaire est entendue : la fausse impression de foule donnée par le Journal de TF1 résulterait d'une stratégie manipulatrice – initiée soit par le FDG, soit TF1, soit les deux – visant à conforter l'estimation optimiste délivrée par l'ex-socialiste.
Ce petit groupe de supporters s'est installé en arrière-plan à l'initiative du Front de gauche pour une raison iconographique, a finalement déclaré au Huffington Post le conseiller de Paris Alexis Corbière, proche de Jean-Luc Mélenchon. "Les images ont une dimension politique [...]. Pour présenter une manifestation, on n'allait pas faire l'interview dans une rue déserte. Il est donc logique d'avoir voulu donner une dimension militante aux images."
Que Jean-Luc Mélenchon se plie à cette petite mise en scène comporte quelque chose de paradoxal, souligne Samuel Laurent sur le site du "Monde". "Toujours prompt à fustiger les médias et les journalistes", le dirigeant du Front de gauche "n'hésite pas à participer à cette mise en scène de l'information si elle sert ses intérêts." On note cependant que le Parti de gauche a lui-même publié une photo qui, sans avoir le recul important de celle de Stefan de Vries, relativise quelque peu l'impression de foule véhiculée par le journal de 13 heures.
Sur Twitter, des internautes jouent tout de même la surenchère : une photo représentant le cortège de la manifestation se voit accusée de trucage, quand bien même elle provient d'une source fiable (voir l'original sur le site de l'AFP). Il est vrai que la compression des plans provoqués par le téléobjectif participe à amplifier l'impression d'une foule compacte sur le boulevard de l'Hôpital. Mais il est vrai aussi que ce procédé photographique est employé dans les manifestations de tous bords, et pas seulement celles auxquelles participe Jean-Luc Mélenchon.
Pour le chercheur André Gunthert, qui dirige la plateforme de blogs Culture visuelle, la pseudo-foule filmée par TF1 ne résulte pas d'une volonté de manipulation politique, mais constitue un symptôme de ce que le chercheur nomme "le journalisme de façade" :
Après une journée de buzz, un porte-parole de TF1 a défendu la chaîne de télévision : "Il est tout naturel que des supporters se massent derrière un président de parti [...]. On voit bien dans l'image qu'ils sont peu nombreux. Il n'y a aucune volonté d'induire en erreur. Jamais il n'est dit dans le reportage qu'il s'agit d'un cortège de plusieurs milliers de personnes".
Du côté de Boulogne-Billancourt, la polémique surgit avec un timing peu avantageux, puisque TF1 vient d'être mise en demeure par le CSA pour avoir décalé de quelques secondes le bruit des huées lors de la visite de François Hollande à Oyonnax, faisant croire que le chef d'État avait été visé à sa sortie de voiture.