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Le Blog de Daniel HUE le Crouycien
1 septembre 2015

«Fiche S» : Xavier Bertrand y va de son ânerie

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DÉSINTOX

Le député des Républicains défend l'incarcération des étrangers «fichés S», s'appuyant, à tort, sur l'exemple britannique.

INTOX. Que faut-il faire des personnes fichées S ? Depuis l’attentat avorté du Thalys, la droite s’est lancée dans un grand concours de propositions, plus ou moins irréalistes. Bruno Le Maire (LR), rejoignant Marine Le Pen, propose d’expulser les étrangers signalés. Le maire de Nice, Christian Estrosi (LR) souhaite les mettre sous bracelet électronique. Quant à l'ex-ministre du Travail, Xavier Bertrand, il suggérait hier sur RTL de les incarcérer : «Je préfère les emprisonner, très clairement, et qu’on ne me dise pas que c’est impossible.» Très sûr de lui, Bertrand s’appuie sur un exemple concret, «l’Angleterre, [qui] quand il y a un danger imminent pour la nation, s’est donné les moyens de les emprisonner».

DESINTOX. Contactée par Désintox, l’équipe de Bertrand précise que la législation britannique à laquelle le député de l’Aisne fait référence est le Prevention of Terrorism Act, voté en 2005. 

Ce texte, voté dans la foulée des attentats du métro de Londres, a instauré des ordonnances de contrôle, dont le rôle est de «protéger la population contre un petit nombre d’individus soupçonnés de terrorisme qui présentaient un risque non négligeable pour la sécurité nationale mais contre qui il était impossible d’engager des poursuites», écrit l’avocat David Anderson dans son premier rapport annuel indépendant sur la législation antiterroriste.

Premier problème, les ordonnances de contrôle ne permettaient pas d’emprisonner quiconque. Elles ouvraient plutôt la voie à une batterie d’obligations imposées aux individus concernés (interdiction de quitter le territoire, de se procurer certaines substances ou de rencontrer certains individus, assignation à résidence, confiscation de passeport…). En matière de détention, le texte ne mentionnait qu’une période de garde à vue de 48 heures, reconductible une fois. Ces deux à quatre jours permettant aux forces de l’ordre britanniques de signifier aux individus gardés à vue leur placement sous ordonnance de contrôle.

Si et seulement si les personnes faisant l’objet d’une ordonnance de contrôle dérogaient à ces obligations, elles encouraient alors une période d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans, ainsi qu’une amende dont le montant n’était pas précisé par la loi. 

Deuxième problème, cette loi de 2005, qui n’a concerné que 52 personnes au total… n’est plus en vigueur. «Cette référence à la loi de 2005 est absurde, juge Nicolas Hervieu, juriste spécialiste des droits fondamentaux. La Court of Appeal (la plus haute instance juridique britannique à l’exception de la Cour suprême, NDLR) l’a annulée car elle était contraire aux articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).»

Un nouveau texte a été voté en remplacement en 2011 : le Terrorism Prevention and Investigation Measures Act, qui supprime carrément les ordonnances de contrôle, remplacées par des «mesures de prévention et d’investigation liées au terrorisme» (Terrorism Prevention and Investigation Measures, TPIM) qui permettent «de perquisitionner, de procéder à des fouilles, et de relever des empreintes ou de l’ADN», écrit Vanessa Barbé, juriste spécialiste de droit des libertés fondamentales et de droit britannique. Elles sont toujours applicables un an, mais reconductibles une seule fois. Et elles ne permettent, pas plus que les ordonnances de contrôle, un quelconque emprisonnement, hors cas de violation des obligations. 

En tout, seules dix personnes (neuf Britanniques et un étranger) ont été concernées par les TPIM depuis leur mise en place en 2011. En mars 2015, il ne restait plus qu’une personne sous TPIM, un ressortissant étranger accusé d’avoir récolté des fonds pour les Shebab somaliens puis acquitté en 2009. Et s’il a été condamné à des peines d’emprisonnement, c’est pour avoir enfreint les obligations qui lui étaient imposées. 

Bref, l’exemple britannique est des plus mal choisis. Sauf à remonter plus loin dans le temps. Le dispositif que décrit Xavier Bertrand a bien existé outre-Manche, mais dans les années 70. Il s’agissait des internements administratifs utilisés en Irlande du Nord dans le cadre de la lutte contre l’IRA, et qui prévoyaient effectivement des emprisonnements sans procès sur la seule base du soupçon. Le dispositif a été supprimé en juillet 1980.

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