La voix des enfants du ghetto de Varsovie au théâtre : "Ceux qui restent"

Ils avaient 7 ans et 12 ans en 1943, au moment du soulèvement du ghetto de Varsovie : Paul Felenbok et sa cousine Wlodka ont confié leur histoire au metteur en scène David Lescot, qui porte leur témoignage à la scène avec deux acteurs saisissants de vérité, Antoine Mathieu et Marie Desgranges.

Deux chaises sur un plateau nu. Chaque acteur est tour à tour témoin et intervieweur : Marie Desgranges met un châle autour de ses épaules lorsqu'elle incarne Wlodka. Antoine Mathieu chausse des lunettes lorsqu'il l'interroge et les enlève lorsqu'il incarne Paul, ou "Pavel".

Magie du théâtre : les voix d'adultes restituent la naïveté des paroles des enfants. "Je croyais que c'était normal" confie Wlodka à propos des conditions de vie terribles dans le ghetto où l'armée allemande enferme 400.000 juifs de Varsovie et de ses environs en 1940. "Je me souviens de ces enfants terriblement affamés", ajoute-t-elle. Et aussi : "on a su immédiatement que ceux qui étaient pris étaient gazés".

Le petit Paul de 7 ans a vu l'armée allemande bombarder des soldats polonais à cheval, une boucherie. Il se souvient des jeux dans la cour de l'immeuble : il était strictement interdit de sortir, et même de regarder par les fenêtres. Des caches étaient aménagées dans les appartements, de peur des rafles.

Les spectateurs sont suspendus à la parole des deux acteurs pendant 1H30. On suit l'évasion des deux gamins du ghetto. Paul s'enfuit par les égouts avec toute sa famille. Wlodka et sa soeur jumelle franchissent le mur grâce à une échelle lors d'une évasion soigneusement organisée par le Bund, l'organisation socialiste juive.

Les parents militent dans des groupes clandestins, il savent tout de la solution finale, prennent tous les risques pour continuer le combat. La solidarité des organisations juives, la solidité de leurs réseaux, y compris après la guerre en France, dans les foyers pour orphelins et les fameuses colonies de vacances de la "CCE, la Commission centrale de l'enfance" revivent sur scène.

- Parmi les derniers survivants -

Le metteur en scène David Lescot a rencontré Paul à travers sa fille Véronique, qui est l'administratrice de sa compagnie de théâtre. "Mais c'est plus ancien que ça. Quand on était enfants, on allait les uns et les autres dans les colonies de vacances de la Commission centrale de l'enfance issues de cette mouvance des juifs communistes, qui ont existé jusqu'au milieu des années 80, on se connaissait les uns et les autres", raconte-t-il.

"Nos parents se sont croisés, mon père savait qui était la mère de Véronique, Betty la blonde, une figure à l'époque. Véronique m'a parlé de son père, elle m'a raconté ça un peu avant le 70e anniversaire de l'insurrection et elle m'a demandé de faire quelque chose parce qu'il avait envie à ce moment d'en parler".

Paul a longtemps gardé son histoire pour lui. Il se souvient de l'incompréhension totale des "camarades" communistes qui encadraient les foyers où il a passé son enfance lorsqu'il racontait l'antisémitisme en Pologne après guerre : impossible dans une démocratie populaire. Le mot d'ordre à l'époque c'était "papa Staline veille".

L'armure a commencé à "se fissurer" avec les commémorations. A l'occasion du 60e anniversaire, il raconte son histoire à TV5 Monde, et à l'approche du 70e anniversaire, il prend conscience de l'urgence de témoigner. Il reste selon lui aujourd'hui à peine dix survivants français du ghetto de Varsovie.

"Ceux qui restent", qui a obtenu en 2014 le prix de la meilleure création en langue française du Syndicat de la critique, est donné au Théâtre de la Ville du 20 au 30 mai et en tournée (La Réunion, Cholet, Caen, Chelles, Mulhouse). Le texte avec les témoignages de Paul Felenbok et Wlodka Blit-Robertson sera publié d'ici la rentrée chez Gallimard.

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