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Le Blog de Daniel HUE le Crouycien
5 décembre 2014

A propos de pénibilité, ou le jeu pervers du MEDEF

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Un certain nombre de chefs d’entreprise protestent avec véhémence contre la mise en place du compte pénibilité, en mettant en avant une version ancienne de modalités il est vrai fort complexes, semblant ne pas savoir que la version actuelle, celle qui devrait être applicable au premier janvier 2015 a été très considérablement allégée.

Ce dossier est révélateur de la stratégie du MEDEF, qu’il est possible de qualifier de perverse, qu’on peut résumer ainsi : passer des accords avec les organisations syndicales selon une logique de “donnant donnant” puis se mobiliser pour ne pas permettre que les concessions acceptées par la partie patronale se mettent en place, avec en plus, cerise sur le gâteau une attaque aux relents poujadistes contre l’État qui s’est efforcé, parfois maladroitement certes, de donner un contenu concret aux accords entre les partenaires sociaux. Nous avons déjà analysé cette pratique (voir Le MEDEF proteste contre la mise en oeuvre des accords qu’il a signés).

Il faut en effet se rappeler que la reconnaissance de la pénibilité de certains métiers a été une contre partie à l’acceptation du recul de l’âge de la retraite. Nul ne conteste que l’entrée plus tardive dans le monde du travail, et l’allongement important de la durée de vie peuvent légitimer le recul de l’âge de la retraite, sous réserve impérative que la situation de ceux qui sont confrontés aux conditions de travail les plus pénibles, facteur d’usure prématurée des organismes, soit prise en compte.

C’est d’ailleurs une pratique ancienne, puisque les mineurs avaient le droit à une retraite à 55 ans avec une bonification d’une année par tranche de 4 années de services au fond, permettant d’abaisser l’âge de la retraite jusqu’à 50 ans. Nul n’a jamais contesté le bien fondé de ce droit, qui le plus souvent d’ailleurs n’entrainait pas des durées de perception de la retraite bien longues, tant la mine dégradait la santé.

Ce principe accepté, y compris par le patronat, reste à en définir les modalités en prévoyant les possibilités d’évolution dans le temps pour éviter que perdurent des avantages quand les conditions qui les justifient auront disparu, suite à la souhaitable amélioration des conditions de travail, comme l’illustre l’exemple souvent cité des cheminots, nul ne contestant qu’il était plus pénible de conduire une locomotive à vapeur qu’un TGV, même si celle-ci induit une réelle tension.

C’est pour procéder à cette définition que le MEDEF, lors de la réforme précédente, avait mis en œuvre une stratégie perverse qu’avait fort bien décrite Eric Verhaeghe dans son livre «Au cœur du Medef - chronique d’une fin annoncée» , publié par les Editions Jacob-Duvernet, (voir Un regard intéressant sur le MEDEF). En effet est décrite par celui qui était alors au cœur de l’organisation patronale une scène révélatrice (page 48) cette interpellation de Denis Gautier-Sauvagnac, alors au sommet de sa puissance auprès de Dominique Tellier, DGA du MEDEF, en charge des relations sociales “Mon cher Dominique, dites-nous où vous en êtes de la négociation sur la pénibilité ? Parvenez vous toujours à la faire capoter ? ”, avant de rappeler l’arsenal des moyens mis en œuvre dans le but de ne pas avancer sur cette question de pénibilité “ne pas trouver de date pour se réunir, passer un temps infini sur des définitions de mots en soulevant tous les points litigieux, les exceptions, les malentendus, organiser des groupes de travail pour enliser les discussions dans des points techniques, soulever des polémiques pour occuper le terrain et détourner l’attention, etc”

Le but va  être atteint, vider le concept de pénibilité de tout contenu ce qui induit un nombre de dossiers acceptés dérisoire (voir 466 retraites à 60 ans seulement pour cause de “pénibilité” : le MEDEF peut être satisfait d’avoir pratiqué l’obstruction). Bien plus il a réussi, avec le complicité du ministre du travail de l’époque, Xavier Bertrand, à transformer le concept de pénibilité en invalidité, niant ainsi la notion d’usure professionnelle (voir Réforme des retraites : on nous a menti sur la pénibilité).

Aujourd’hui, au lieu d’avoir participé activement dans le cadre du dialogue social à la définition des critères de pénibilité, étape nécessaire à la concrétisation des engagements de la partie patronale, le MEDEF organise la protestation contre les modalités que le gouvernement a préparées, accepté d’alléger et de reporter d’un an pour parti, afin de simplifier la mise en œuvre.

Se rend-il compte qu’en agissant de la sorte, il rend de plus en plus difficile la situation des syndicats qui acceptent de prendre des engagements vis à vis de lui, et ne peut que renforcer ceux qui sont dans une logique d’opposition frontale ?  Est-ce de l’inconscience ou une pure volonté de faire du rapport de forces l’élément déterminant des relations entre les partenaires sociaux ?

Décidément, Pierre Gattaz ramène l’organisation patronale qu’il préside bien des années en arrière quant à sa conception de la démocratie sociale. Il est vrai que son choix est clairement d’investir le champ du politique, et de considérer les avancées non négligeables du gouvernement vis à vis des entreprises comme des preuves de faiblesse qu’il faut exploiter pour obtenir de nouveaux avantages, y compris quand il est évident qu’ils concernent les patrons et pas les entreprises, comme l’illustre la demande de suppression de l’impôt sur la fortune, alors que la propriété de l’outil de travail est hors du champ de l’ISF ce qu’avait fait remarquer le défunt PDG de Total Christophe de Margerie qui déclarait lors d’une Université du MEDEF «L’ISF, ce n’est pas un problème Medef, c’est un problème personnel (…). On va croire que la priorité des priorités des patrons, c’est de supprimer l’ISF. Non, la priorité, c’est de contribuer à la richesse de l’économie française». (voir Les histoires extraordinaires de Tonton Gattaz : l’ISF empêche le développement des entreprises de taille intermédiaire).

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