Les collectivités locales sont-elles responsables du déficit public ?
Un tiers du retard pris dans la réduction du déficit public de la France est causé par la dette des collectivités territoriales. C'est ce qu'affirme la Cour des comptes dans son rapport rendu mardi 14 octobre.
1. De quoi parle-t-on ?
Pour comprendre ce rapport de la Cour des comptes, il ne faut pas oublier que le secteur public français ne se résume pas à l'Etat. La Sécurité sociale et les administrations locales (communes, départements, régions et autres établissements locaux) représentent la majorité des dépenses.
Comme on peut le voir sur le graphe ci-dessous, l'Etat reste toutefois le plus grand producteur de dette :
2. La dette des collectivités loin derrière celle de l'Etat
9,2 milliards En 2013, les dépenses des administrations ont progressé de 3,4 %... alors que leurs recettes n'augmentaient que de 1,1 %. Leur déficit a donc explosé, passant de 3,7 milliards d'euros en 2012 à 9,2 milliards en 2013, sur un total de 252 milliards de dépenses.
Très mineur en 2012, le déficit des administrations locales pesait l'année suivante plus de 10 % de l'ensemble du déficit français, rejoignant presque celui de la Sécurité sociale.
Si les collectivités locales creusent leur déficit depuis 2010, celui-ci reste, en poids, amplement inférieur à celui de l'Etat.
En volume, les administrations locales sont encore loin d'être aussi dépensières que l'Etat. Mais le graphique suivant montre bien le rôle important qu'elles ont joué dans le dérapage du déficit français en 2013, qui s'est établi à 4,3 % au lieu des 3,7 % prévus dans le programme de stabilité 2013-2017 du gouvernement.
La Cour des comptes calcule qu'un tiers du tort revient aux administrations locales, dont le déficit était le double de ce qui était prévu : 0,4 % contre 0,2 % du PIB. A l'inverse, la Sécurité sociale devrait tenir son objectif de 0,6 % de déficit (sous réserve des chiffres définitifs), alors que l'Etat dérapait de 2,9 % à 3,3 %.
3. Pourquoi le déficit se creuse
Plusieurs éléments expliquent l'impressionnant dérapage du déficit des administrations locales.
- Des recettes limitées
Il faut d'abord souligner la faible progression des recettes prélevées par les collectivités, qui n'a pu compenser le rythme des dépenses. Les dotations et participations de l'Etat ont baissé de -1,5 % en 2013, de même que la fiscalité indirecte (- 2,4 %). Les impôts locaux, qui ont rapporté 2,3 % de recettes supplémentaires, n'ont pas suffi à rééquilibrer la balance.
La comptabilité publique distingue les dépenses/recettes de fonctionnement (c'est à dire courantes) et d'investissement. Dans les deux cas, les dépenses augmentent plus rapidement que les recettes, creusant le déficit.
- Des dépenses en hausse
Depuis 2009, les dépenses courantes des collectivités locales ne parviennent pas à se réduire. En partie, justifient les intéressés, en raison des missions qu'elles assurent, et qui ne cessent d'augmenter avec la décentralisation, alors que la dotation de l'Etat diminue.
Affirmant leur rôle d'investisseur public malgré la baisse des dotations de l'Etat, les collectivités locales représentaient, en 2013, 58,8 % des dépenses d'investissement public en France, deux points au-dessus de l'année précédente.
Pourcentage des investissements réalisés en France par les collectivités locales. Ce chiffre continue de grimper en 2013, malgré les restrictions budgétaires.
Mais cette explication ne suffit pas à expliquer la hausse des dépenses, selon la Cour des comptes.
Les dépenses des collectivités ont augmenté après 2012
Au cours des dernières années, les collectivités ont continué de dépenser de plus en plus, en le compensant partiellement par des recettes en hausse.
Elle note ainsi que «loin de se traduire par des économies d'échelle», la multiplication des intercommunalités «a été un puissant facteur d'augmentation des dépenses de fonctionnement». Selon l'analyse de la Cour, les communes ont profité des «marges de manœuvre dégagées par le transfert d'une partie de leurs compétences» aux intercommunalités pour «renforcer leurs services, y compris dans des champs d'intervention partagés avec les groupements intercommunaux», dans un contexte marqué par l'approche des élections municipales.
Résultat : leurs dépenses de fonctionnement ont continué d'augmenter ces dernières années, de même que leurs budgets d'investissement. Ces derniers servent en effet de variables d'ajustement, car ils permettent aux collectivités d'emprunter de l'argent, ce qui leur est interdit pour financer leurs dépenses courantes.
Exemple avec les dépenses de personnel : en onze ans, 260 000 agents supplémentaires ont été recrutés dans le «bloc communal», c'est à dire les communes et les intercommunalités. Une part de ces dépenses est due aux transferts de compétences qui ont eu lieu durant cette période, mais la Cour dénonce aussi une croissance parfois «non maîtrisée» et des politiques de rémunération questionnables.
+ 62 % - Ce sont les intercommunalités qui ont consommé le plus de postes : on est passé, entre 2000 et 2012, de 1,59 milliard d'euros de dépenses de personnel à 6,27 milliards. Le problème, c'est que cette montée en puissance des intercommunalités n'a pas été compensée par des économies dans les communes, au contraire : les dépenses de personnel municipal sont passées de 23,3 à 34,1 milliards d'euros. Au total, les dépenses de personnel ont augmenté de 62 % en douze ans sur l'ensemble du bloc communal.
A l'inverse, les départements ont été beaucoup plus rigoureux au cours des dernières années, réduisant leurs dépenses d'investissement plutôt que de s'endetter.
Les régions, elles, se situent entre les deux : elles ont généreusement multiplié par 4,5 leurs dépenses de personnel entre 2005 et 2010, et mis en place dans certains cas «des régimes indemnitaires particulièrement favorables». Elles ont toutefois réussi à limiter l'augmentation de leur endettement en puisant dans leur trésorerie.
4. Une comparaison européenne peu flatteuse
Les voisins européens sont beaucoup plus économes en termes d'organisation territoriale : l'Allemagne, 1,2 fois plus peuplée, compte trois fois moins de communes.
«La carte des communes est demeurée quasiment inchangée depuis leur création à la Révolution française à partir des communautés et paroisses de l'Ancien régime», explique la rue Cambon. Une des raisons de cette particularité tricolore : l'attachement des Français à une identité de territoire et à une incarnation de la démocratie de proximité.
L'Espagne et l'Italie comptent environ 8 000 communes, le Royaume-Uni 9 946 «civil parishes» et 900 «towns», la Belgique seulement 589 communes.