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Le Blog de Daniel HUE le Crouycien
8 septembre 2014

Nicolas Sarkozy, gros apporteur d’affaires

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«Libération» a eu accès aux documents prouvant que l’ex-président, fort de son carnet d’adresses, a démarché émirs et milliardaires pour financer Columbia, le projet de fonds d’investissements conduit avec Stéphane Courbit.

Sarko 16

C’est une nouvelle affaire dont Nicolas Sarkozy se serait bien passé. Ainsi, l’ex-président a effectué trois voyages en jet privé à New York, Doha et Abou Dhabi, payés 301 000€ par Lov Group Industrie (LGI), la société de son ami Stéphane Courbit. A ce stade, la juge marseillaise Christine Saunier-Ruellan enquête sur ces faits découverts dans le cadre d’un autre dossier. Les documents saisis par la police au siège de LGI, auxquels Libération a eu accès, montrent que les voyages correspondent aux recherches de fonds de l’ancien président, qui avait monté en 2012 avec Courbit un projet de fonds d’investissement baptisé Columbia. Ces documents retracent l’histoire secrète de l’homme d’affaires Sarkozy, prêt à user de son influence d’homme d’Etat pour faire fortune. Au point d’avoir obtenu un engagement de 200 millions d’euros du Qatar, avant que Columbia ne capote.

«Attrait». Tout est parti de l’affaire «Air Cocaïne», ce Falcon rempli de coke saisi en République dominicaine. Au siège de l’affréteur de l’avion, les policiers découvrent dix factures payées par LGI, dont trois concernant Nicolas Sarkozy. Le 3 février, la juge Saunier-Ruellan demande à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière d’enquêter sur les «flux financiers» liés à ces factures. Puis elle saisit les policiers de la Brigade financière parisienne. Lesquels perquisitionnent début août le siège de LGI à Paris, puis entendent Stéphane Courbit comme témoin le 20 août. Le patron de Lov déclare qu’il n’y a rien d’illégal. Selon lui, les vols étaient liés à Columbia, ce que confirment les documents saisis. Lorsque Mediapart avait révélé l’existence du fonds en janvier 2013, l’entourage de Sarkozy avait démenti. Pourtant, tout était vrai.

L’histoire commence à l’automne 2012. L’idée est venue d’Alain Minc et de Stéphane Courbit, deux proches de l’ex-président. Minc, conseiller et homme d’influence des grands patrons, compte Courbit parmi ses clients. Lequel a fait fortune dans la télé-réalité (Loft Story) avant de fonder Lov, présente dans l’audiovisuel, les paris en ligne, l’hôtellerie et l’énergie. Minc et Courbit se disent qu’avec sa force de conviction et son carnet d’adresses Sarkozy ferait un homme d’affaires idéal. Ils lui proposent de monter un fonds qui investirait dans des entreprises européennes. Sarkozy n’a jamais caché sa fascination pour les patrons et leur fortune. Encore sonné par sa défaite à la présidentielle, il se laisse tenter. «A l’époque, il ne voulait plus du tout revenir en politique et redécouvrait l’attrait de l’argent», raconte un proche. Il pose deux conditions. Personne ne sera payé avant le lancement. Et les investissements en France se limiteront à l’immobilier, pour éviter les conflits d’intérêts.

Le fonds sera basé au Luxembourg, avec des bureaux au Grand-Duché, à Londres, puis de «petits bureaux» à Paris et à Madrid. Sarkozy et ses associés seront rémunérés en fonction des bénéfices. Courbit est la cheville ouvrière : son groupe LGI sera l’opérateur du fonds et investira au moins 25 millions d’euros. Minc recrute des figures européennes des affaires qui siégeront avec lui au comité d’investissement. Sarkozy sera, lui, «président of the advisory committee», c’est-à-dire conseiller en chef et tête de gondole. «C’était la locomotive», précise un financier au fait du dossier. Son job : draguer les très grandes fortunes et les fonds souverains pour qu’ils lui confient leur argent. Columbia espère gérer 500 millions à 1 milliard d’euros.

«Tour du monde». Sarkozy vient de se lancer dans le métier de conférencier de luxe, à 100 000 dollars (77 000€) l’intervention. Dans le plus grand secret, il profite de ces événements pour faire de la retape. C’est le cas dès sa première conférence, le 11 octobre 2012 à New York. A l’hôtel Waldorf Astoria, il prend langue avec Stephen Schwarzman, patron de Blackstone, l’un des plus gros fonds américain. Le 20 novembre, Schwarzman envoie un mail à son «cher Nicolas» : «Je sais que tu t’es lancé dans un tour du monde pour lever de l’argent depuis qu’on s’est rencontré au Waldorf.» Il lui propose une «coopération informelle» et d’éventuels «co-investissements». «Ce serait un plaisir», répond Sarkozy, précisant que «la levée de fonds progresse avec succès».

Il a en effet un gros poisson en vue : le richissime émirat gazier du Qatar. La cible est idéale. Sarkozy est un très proche de l’émir, Hamad ben Khalifa al Thani (1). Il l’a séduit en l’invitant au défilé du 14 juillet 2007. Depuis, Sarkozy a fait du Qatar le pilier de la diplomatie française au Moyen-Orient, les deux pays multipliant les services rendus : libération des infirmières bulgares en Libye, guerre contre Kadhafi, organisation du Mondial de foot au Qatar, exonérations fiscales des investissements de l’émirat dans l’Hexagone… A la mi-novembre, les négociations progressent entre LGI et le fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA). Cela tombe bien, Sarkozy est invité par l’émir à s’exprimer le 11 décembre au Forum mondial du sport de Doha. Le 4 décembre, Sarkozy envoie un mail aux patrons de QIA et de Qatar Holdings : il demande à les voir «afin de lever les derniers points en suspens pour que nous puissions signer la lettre d’engagement le même jour». Rendez-vous est pris le 10 décembre à 8 h 30. Le 9 décembre, Sarkozy et une partie de son équipe s’envolent pour Doha à bord d’un Falcon 7X, le modèle le plus luxueux de chez Dassault, affrété par Lov Group pour 102 000 euros. L’investissement paye. Le 10 décembre, QIA signe une lettre d’intention dans laquelle il se dit «enchanté» de s’engager, sous conditions, à investir 200 millions d’euros. Ce document montre le rôle majeur de Sarkozy : il est l’un des trois signataires, avec Courbit et un dirigeant du fonds qatari. Si ce deal n’a rien d’illégal, il pose un problème éthique. L’émir a-t-il voulu acheter un ancien président français, avec l’espoir qu’il le redevienne ? A l’époque, Sarkozy n’y a pas vu malice. «Il pensait qu’il lui suffirait de se retirer de Columbia si jamais il voulait reprendre sa carrière politique», raconte un proche du dossier.

«Impatient». Après ce succès, Sarkozy embarque pour New York avec Carla Bruni, le 30 janvier 2013, à bord d’un Falcon 900EX, affrété par Lov Group pour 95 000€. Le lendemain, il intervient lors d’une conférence à Greenwich, à côté de New York, par Goldman Sachs, en présence du patron de la banque. Le 1er février, le Falcon et un hélicoptère l’emmènent au Canada, où il déjeune chez le milliardaire Paul Desmarais (2), première fortune du Québec. Sarkozy veut convaincre cet ami intime d’investir dans Columbia.

Un mois plus tard, Sarkozy profite encore d’une conférence. Il doit causer le 27 février 2013 au Global Financial Markets Forum à Abou Dhabi, terrain favorable car, le 26 mai 2009, le président Sarkozy y avait inauguré une base militaire permanente française. Le 26 février, Sarkozy et une partie de son équipe prennent un Bombardier Global Express, affrété 104 000€ par Lov Group. L’ex-président et Courbit ont rendez-vous avec Khaldoon el Mubarak, PDG de Mubadala, le fonds souverain de l’émirat. Sarkozy tente aussi de décrocher un rendez-vous avec le prince héritier, Mohammed ben Zayed al Nahyane, ministre de la Défense et frère de l’émir - les mails ne disent pas si la rencontre a eu lieu. Mais le voyage a payé. Le 4 mars, le PDG de Mubadala écrit à Courbit qu’il est «très impatient de poursuivre selon le calendrier prévu et d’établir ce partenariat» avec Columbia.

«Par devoir». Columbia souhaitait signer l’ensemble des pré-engagements fin mars 2013, pour un lancement d’ici la fin juin. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Le 19 février, Courbit est mis en examen pour «escroquerie» et «recel d’abus de faiblesse» dans l’affaire Bettencourt, suite à l’investissement de 143,5 millions d’euros de la milliardaire dans LGI. Pour les partenaires potentiels de Columbia, c’est la douche froide. «Les investisseurs ont considéré qu’il y avait un risque et n’ont pas voulu l’assumer. En quinze jours, il est devenu évident que Columbia était mort», raconte un initié.

Sarkozy n’a donc pas eu à choisir entre affaires et politique. Mais il s’était déjà mis à douter. «Il avait un peu levé le pied», indique un financier. Il y a eu la guerre Copé-Fillon de 2012, qui l’a convaincu qu’il était le seul recours. La polémique déclenchée fin janvier 2013 par les révélations de Mediapart sur Columbia, qui lui a fait réaliser qu’il ne pourrait pas revenir si le fonds était lancé. Et enfin l’affaire Bettencourt, qui le rattrape lui aussi (3). La fuite des investisseurs a-t-il cristallisé sa réflexion ? Dans les derniers jours de février, au moment où Columbia bat de l’aile, Sarkozy se confie à Valeurs Actuelles pour la première fois depuis sa défaite. Dans l’article, publié le 7 mars, Sarkozy déclare qu’il sera peut-être «obligé» de revenir en politique «par devoir».

Reste à savoir ce que deviendra l’affaire au niveau judiciaire, dont l’avocat général de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a requis la validité ce lundi, y compris sur les vols empruntés par Sarkozy. De son côté, si son enquête est validée, la juge Saunier-Ruellan peut soit estimer qu’il n’y a rien d’illégal. Ou, si elle soupçonne un délit, elle peut transmettre les faits au procureur. Selon le parquet de Marseille, ce n’était pas le cas ce lundi. Joint par Libération, Courbit et Minc n’ont pas souhaité commenter. Dans l’entourage de Sarkozy, on confirme sa participation à Columbia, précisant que le fonds est resté «au stade de projet».

(1) Il a abdiqué le 25 juin 2013 au profit de son fils Tamim.

(2) Il est décédé le 8 octobre 2013.

(3) Sarkozy a été mis en examen le 21 mars 2013 avant de bénéficier d’un non-lieu. Stéphane Courbit a été renvoyé en correctionnelle.

La photo de Daniel Hue

Columbia

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