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Le Blog de Daniel HUE le Crouycien
9 avril 2014

Fin du “millefeuille territorial” ou habileté du premier ministre ?

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La déclaration de Manuel Valls devant l’Assemblée Nationale ce 8 avril a montré une réelle maîtrise, attendue, de la part du premier ministre, et mis en évidence une attitude digne de collégiens de banlieue de la part de nombreux députés UMP, qui par leurs invectives, leurs interpellations répétées, leurs interjections… ont donné un image bien peu susceptible de susciter le respect qu’on devrait avoir pour les élus de la République. Nous partageons sur ce point l’interrogation de Luc Ferry que reproduit Le Figaro «Comment demander à nos enfants de se conduire convenablement dans une classe si les députés se conduisent comme des abrutis devant tous les français» ?

Sur le fond, elle a esquissé une évolution significative de l’organisation territoriale de notre pays avec les propos suivants, reproduits intégralement.

"Notre indépendance financière, mesdames et messieurs les députés, suppose également des réformes de structure, nous le savons tous. La France est prête à de telles réformes, en particulier celle du «millefeuille territorial». Je propose quatre changements majeurs susceptibles de dépasser les clivages partisans. Le premier concerne nos régions et s’inspire du rapport des sénateurs Yves Krattinger et Jean-Pierre Raffarin. Nos régions doivent disposer d’une taille critique. Elles disposeront ainsi de tous les leviers et de toutes les compétences pour accompagner la croissance des entreprises et encourager les initiatives locales. Je propose de réduire de moitié le nombre de régions de l’Hexagone".

"Quant à la méthode, il s’agit de faire confiance à l’intelligence des élus. Les régions pourront donc fusionner par délibérations concordantes. En l’absence de propositions, le Gouvernement proposera par la loi, après les élections départementales et régionales de mars 2015, une nouvelle carte des régions qui sera établie pour le 1er janvier 2017".

"Le deuxième objectif, c’est l’intercommunalité. Une nouvelle carte intercommunale fondée sur les bassins de vie entrera en vigueur au 1erjanvier 2018".

"Mon troisième objectif, c’est la clarification des compétences. Je propose la suppression de la clause de compétence générale. Ainsi, les compétences des régions et des départements seront spécifiques et exclusives".

"Enfin, mon dernier objectif consiste à engager le débat sur l’avenir des conseils départementaux. Je sais qu’un tel débat prendra du temps, mais je vous propose leur suppression à l’horizon 2021.  Je mesure l’ampleur d’un tel changement. Il nous faudra en particulier répondre au sentiment d’abandon et au besoin de protection de nombreux départements et territoires ruraux. Ce changement donnera lieu à un profond débat dans le pays qui associera les élus et les citoyens. Je sais que je peux compter sur la compétence et l’énergie qui caractérisent tous les bancs de cette assemblée car, à propos des régions, de l’intercommunalité, de la clause de compétence générale et des départements, beaucoup de propositions ont déjà été formulées. Il faut certes en parler, mais il est temps d’agir "!

Pour avoir suivi dans ce blog les différentes étapes des réformes successives et pour l’essentiel non abouties des collectivités, nous nous sentons autorisés à réagir face à ces annonces dont nous n'avons pas la conviction qu’elles vont amorcer une profonde réforme de l’organisation territoriale de notre pays.

D’abord pour une question de gestion du temps. Nous savons, par vécu, que les réformes pour se concrétiser doivent être effectives dans le temps d’un quinquennat. Nul n’a oublié que le conseiller territorial, choix fort contestable, inventé pour tenter de contourner les oppositions à la suppression des départements, avait bien été voté, et son application suspendue, le pouvoir précédent ayant bien compris que se lancer dans le très périlleux exercice de découpage sous contrôle d’un conseil constitutionnel attentif à l’égalité de représentation des citoyens était un risque considérable.

Victime expiatoire de l’alternance, ce conseiller territorial a disparu à la satisfaction plus ou moins exprimée publiquement d’un certain nombre de ceux qui s’étaient résolus à le voter sans être vraiment convaincus de sa pertinence. Annoncer une suppression des départements pour 2021, c’est acter une décision dans un contexte politique que nul ne maîtrise. Mais peut-être était-ce le seul moyen d’avancer une perspective sur ce sujet alors que François Hollande a affiché son soutien aux départements ?

Ce qui est certain c’est qu’une réfonte de l’organisation territoriale doit se mettre en place dès le début du mandat présidentiel pour que les nouvelles structures soient légitimées par le suffrage universel, rendant plus difficile le rebattage des cartes et le retour en arrière. Pour n’en prendre qu’un exemple, il est étonnant qu’on puisse envisager de faire élire des conseils régionaux par le peuple en mars 2015 pour  imposer, par la loi, la fusion de régions dotées d’une assemblée légitimée par le suffrage universel, pour le 1er janvier 2017. Pour prendre un exemple, si une région a, suite aux élections de 2015, une majorité de droite et l’autre une majorité de gauche, qui présidera la région issue de leur fusion ? Tiendra-t-on compte des habitants, des suffrages obtenus (ce qui suppose que les listes aient eu la même configuration dans les deux régions) ? Tirera-t-on au sort, ou mettra-t-on en place une co-présidence ou une présidence alternée ? Ou recommencera-t-on les élections ?

Le point le plus marquant selon nous, est que les propositions du premier ministre font, comme c’est le cas de la majorité des nombreux propositions de réformes qui ont fleuries ces dernières années, l’impasse totale sur un point, l’indispensable regroupement des communes les moins peuplées, issues en droite ligne des paroisse du moyen âge, totalement inadaptées aux enjeux du XXI ème siècle.

La révision de la carte intercommunale annoncée pour 2018 est très souhaitable, la précédente réforme ayant achevé l’intercommunalité en obligeant les communes qui avaient voulu rester solitaires à s’associer à d’autres, mais étant demeuré timide, surtout dans certain départements, n’allant pas assez vers la constitution de périmètres pertinents (voir Intercommunalité : une étape, en attendant la prochaine). On peut suggérer deux mesures pour que cette réforme ait du sens : ne pas l’enfermer dans un cadre départemental comme cela l’a été dans la phase précédente, où le préfet de département a joué un rôle déterminant, et ne pas laisser conduire des démarches sans ligne de conduite commune dans le territoire.

Pour ce qui concerne le regroupement des régions, le premier ministre reprend et amplifie l’objectif gouvernemental, tout en esquissant un mode d’emploi : l’alternative entre la fusion par délibération convergentes ou une fusion imposée par la loi. Cette façon de faire peut fonctionner dans certains cas : Haute et Basse Normandie, Bourgogne et Franche Comté et pourrait inciter l’Auvergne et le Limousin à réfléchir aux inconvénients d’une disparition du Massif Central (voir Du nombre des Régions : cela ne va pas être simple)

Mais elle ne règle ni la question de l’éventuel démantèlement de régions, comme ce qui est esquissé pour la Picardie, ni la possibilité de recompositions de régions, certains départements pouvant souhaiter saisir l’opportunité afin par exemple que la Loire Atlantique rejoigne la Bretagne, ni la fusion entre régions et départements, comme cela n’a pu se faire en Alsace et en Corse, ce que pourrait faciliter la suppression de l’obligation référendaire, ce qui montre une relation complexe avec la démocratie (voir Pour éviter des réponses négatives aux référendums locaux, il suffit de supprimer l’obligation référendaire).

Quant à la question de la suppression de la clause de compétences générales pour les régions et les départements, on se demande si on ne rêve pas. Cette clause a été effectivement supprimée par la loi  n° 2010-1563 du 16 décembre 2010, dite de réforme des collectivités territoriales durant le quinquennat Sarkozy et cette suppression devait s’appliquer au 1er janvier 2015. La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles a rétabli la clause générale de compétence pour les régions et les départements. Lors du débat au Parlement, le rétablissement de cette clause a été défendu, au nom du gouvernement, par la ministre de la décentralisation, Marylise Le Branchu, maintenue en poste, et le ministre de l’intérieur, Manuel Valls devenu premier ministre. Ce sont le deux mêmes qui vont devoir défendre la position contraire. Avec la même conviction, montrant la plasticité des convictions ?

Est-ce qu’engager une réforme pour supprimer la clause générale de compétences de départements que l’on affiche avoir l’intention de faire disparaitre est bien rationnel ? Sans doute autant qu’avoir engagé une profonde réforme du mode d’élection, avec cette invention du scrutin bi nominal paritaire qui agite l’ensemble du pays, certes pour une large part pour des raisons purement politiciennes (voir, entre autres Dans l’Yonne les conseillers généraux de droite protestent au nom de la ruralité face à la perte de leurs privilèges ou Chronique du machisme ordinaire : la confiture dans l’Aisne), pour ne le faire servir qu’une fois.

Au fond on en vient à s’interroger : est-ce que le but de ce point de l’intervention est bien d’engager la réforme territoriale dont notre pays a grand besoin ? En ce cas, les axes suggérés, qui vont plutôt dans le bon sens devraient être complétés, en particulier par la prise en compte de l’évolution de l’échelon communal. Mais, vu les questions de calendrier, nous avons le sentiment que le but est plutôt de mettre  la droite en difficulté. Et de ce point de vue l’objectif est atteint, tant les contradictions sont fortes entre ceux qui s’arqueboutent sur le canton et la ruralité, fondement de l’immuable département et ceux qui souhaitaient une modernisation tant qu’ils sentaient le gouvernement hésitant (voir Les élus UMP se battent pour les départements que condamne Jean-François Copé).

Mais ce qui va compliquer les choses c’est que ce clivage partage aussi fortement la gauche, les communistes étant nettement sur une conception départementaliste, les écologistes résolument engagés dans une démarche de rationalisation avec toutefois des approximations (voir Diminuer le nombre de Régions en en créant d’autres !) et, comme d’habitude, les socialistes partagés, essentiellement en fonction des collectivités dont ils sont les élus.

L’habileté réelle de cette position peut s’avérer contre productive si le débat divise plus la gauche que la droite. Cela semble assez bien parti en ce sens. Et l’histoire nous a montré qu’une démarche mal conduite pouvait aboutir à ajouter une couche au mille feuille au lieu d’en enlever (voir Une feuille supplémentaire au “millefeuille territorial” à Paris et Marseille) alors que des accords politiques sur le terrain pouvaient au contraire permettre une réelle simplification (voir Vers l’affirmation de la métropole lyonnaise et la fin du département du Rhône ?).

Le dessin de Daniel HueFrance mille feuilles

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