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Le Blog de Daniel HUE le Crouycien
2 mars 2014

Copé, l'homme qui joue avec le feu

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Chaque année, ses amis le voient lever les yeux au ciel, au moment où l'on apporte son gâteau d'anniversaire en forme de palais de l'Elysée : «Pfff… C'est ma mère…» Chaque printemps, il y a une bougie de plus dans la génoise – et un an de moins jusqu'à 2017 !, se réjouit la famille Copé. Et pourtant, les trois derniers gâteaux n'ont plus la saveur délicieuse de l'art de la guerre et de la conquête du pouvoir. Car une série de mauvais pas est venue gâcher la fête, jetant une ombre sur le destin du président de l'UMP, révélant à chaque accroc ses réseaux, ses goûts et ses méthodes, le laissant chaque fois plus solitaire.

«J'ai toujours assumé mes amitiés», affirmait Copé en 2011. Alors que les contrats passés avec Bygmalion, la société de communication à laquelle l'UMP a confié la plupart de ses meetings de campagne, font aujourd'hui la couverture du Point, c'est l'une de ses plus anciennes relations qui concentre les nouveaux soupçons. L'hebdomadaire l'accuse d'avoirr «sponsorisé» avec l'argent de son parti, en grave difficulté financière, une société de communication achetée et rebaptisée en 2008 par l'un de ses plus fidèles lieutenants, Bastien Millot. L'un des pionniers de l'épopée «copéiste». Qui contribue à dessiner, en attirant ainsi les projecteurs, le portrait d'un Jean-François Copé ambitieux forcené et homme d'argent imprudent.

Dans le petit vade-mecum de parfait présidentiable que le jeune Copé s'est fabriqué, il est dit que les réseaux se construisent dès le plus jeune âge. Ses collègues du Banquet, un club qu'il crée dès sa sortie de l'ENA, en 1989 – une réplique modèle réduit du fameux Siècle, ce cercle où l'élite se coopte et dîne entre soi – sont des inspecteurs des finances ou des chefs d'entreprise qui ont grandi dans les mêmes quartiers que lui et ne les ont jamais quittés. Le bréviaire de ce «bébé Chirac» dit aussi que, pour devenir président, la fidélité est une vertu. «Une des caractéristiques de Jean-François Copé, c'est le faible turnover de ses collaborateurs. Un homme pressé laisse beaucoup de monde sur le bord de la route. Pas lui», commente son directeur de cabinet à l'UMP, Jérôme Lavrilleux.

Les choses sérieuses commencent toutefois au milieu des années 1990. Jean-François Copé, qui, à peine sorti de Sciences Po y est revenu comme enseignant, recrute en 1995 un de ses élèves de la Rue Saint-Guillaume, de huit ans son cadet, comme assistant parlementaire. Bastien Millot ne tient pas encore chronique à Europe 1, quoiqu'il rêve déjà de gloire et de médias. «Un type très malin, qui vous parle avec des airs mystérieux, en plissant les yeux avec l'air d'être au courant de tout», décrit un membre de l'UMP. Les deux hommes se vouvoient – Copé n'aime pas la familiarité. Mais deviennent vite les meilleurs alliés du monde politique, dix ans à la colle, à la mairie de Meaux puis dans les cabinets ministériels.

Vif, débrouillard et décomplexé comme les années 1980 qui le voient éclore, Bastien Millot n'a pas trop d'états d'âme. Déjà, en 2004, alors qu'il était le premier adjoint de la maire de Beauvais, Caroline Cayeux, il a été exclu de la majorité de la ville après que l'élue a déposé plainte contre lui pour détournement de fonds publics (il sera condamné à une amende de 8 000 euros pour avoir accordé le paiement d'heures supplémentaires indues à un chauffeur). Il est vite pardonné. Millot est précieux. Il n'a notamment pas son pareil pour recruter des jeunes gens efficaces, capables de se mettre tout entiers dans la roue de Copé.

COPÉ ET MILLOT, «LOUIS XIV ET MME DE MAINTENON»

Bastien Millot fait ainsi entrer à la mairie de Meaux Guy Alvès. Celui-ci règne pendant dix ans sur la logistique financière et matérielle du maire avant de suivre Copé à Paris puis de monter Bygmalion avec Millot en 2008. Alvès se méfie autant que Millot de Nicolas Sarkozy – il n'a pas voté pour lui en 2007. Millot a alors une telle influence sur les embauches de collaborateurs, sur les choix stratégiques et même sur l'humeur de son patron que les collaborateurs de Copé ont trouvé un surnom au duo qu'ils forment ensemble : «Louis XIV et Mme de Maintenon».

Millot est toutefois trop vert encore pour fournir ces réseaux de puissants qui, dans l'esprit de Copé, doivent aider son ascension. Apparaît alors un second marchand d'influence. Il s'appelle Thierry Gaubert. Un personnage : le physique de Philippe Junot et, plus encore, l'entregent et le culot de l'ancien mari de Caroline de Monaco.

A cette époque, il se cherche un gros «client». Il vient en effet d'être écarté par Cécilia Sarkozy alors que, chef adjoint de cabinet de «Nicolas» à la mairie de Neuilly, puis à Bercy en 1993, il vivait depuis des années dans le sillage du futur président. Sa petite société, Neuilly Communication, compte pour clients nombre de fortunes domiciliées dans la riche ville des Hauts-de-Seine. Gaubert est resté proche de Brice Hortefeux et de Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet d'Edouard Balladur à Matignon, mais prospecte activement d'autres politiques à l'avenir prometteur. En 2002, Jean-François Copé fait partie de ces jeunes loups qui peuvent prétendre entrer dans un gouvernement si Jacques Chirac est réélu. Le voilà effectivement secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Autant dire, pour Gaubert, une cible de choix.

Gaubert propose au nouveau ministre ce qui avait consacré une partie de son succès auprès du maire de Neuilly : des dîners avec des personnalités fortunées et influentes. «Je lui ai préparé des rencontres avec des chefs d'entreprise, organisé des déjeuners avec de grands chefs cuisiniers, des producteurs de cinéma», raconte volontiers Thierry Gaubert. Il lui présente ainsi Ziad Takieddine, un riche intermédiaire de contrats internationaux, notamment d'armement, qu'il a déjà introduit quelques années plus tôt auprès de Nicolas Bazire, l'ex-directeur de cabinet d'Edouard Balladur à Matignon, et de Brice Hortefeux, le plus proche lieutenant de Nicolas Sarkozy. Dans son hôtel particulier tout de marbre et de colonnes glacées, l'homme d'affaires libanais n'aime rien tant que recevoir aux côtés de sa jeune épouse, quelques hommes politiques dont il espère sans doute, plus tard, la protection.

Dîners somptueux, vins d'exception, cadeaux de bienvenue pour sceller l'amitié (comme cette Rolex acceptée par Copé), virées à Venise, à Beyrouth ou sur le yacht de 24 mètres de l'homme d'affaires, farniente dans la maison du Cap d'Antibes – c'est là que seront prises, en août 2003, les fameuses photos du ministre du budget et de sa première épouse, Valérie. «Des relations strictement amicales», lâchera un Copé contraint et forcé après la publication des photos à l'été 2011 et les mises en examen de l'intermédiaire libanais dans l'affaire de Karachi. «En politique, les souvenirs sont éternels», soupire souvent François Baroin en observant les ratés de cet ancien complice avec lequel il est aujourd'hui brouillé. Takieddine, c'est la première tache, très visible, dans le parcours méthodique de présidentiable du député de Seine-et-Marne.

Son ami du lycée Duruy et de l'ENA, François Werner, qui l'avait accompagné un soir chez Ziad Takieddine, mesure tout de suite l'effet désastreux du cliché. «Ce n'est pas tant la photo de Jean-François nageant dans la piscine que celle du couple levant la cuisse chez le marchand d'armes», soupire l'inspecteur des finances, qui fut le premier patron de Tracfin (l'organisme chargé de la lutte contre le blanchiment d'argent) et l'auteur, avec Copé, d'un traité de Finances locales chez Economica, en 1990. Un autre ami le met aussi en garde : le banquier Grégoire Chertok. Un intime parmi les intimes, rencontré en 1992 lors d'une soirée du Banquet et qui, aujourd'hui, lui téléphone «presque une fois par jour».

GÉNÉRATION FRANCE ? UN CLUB «0 % PETITES PHRASES, 100 % DÉBATS D'IDÉES»

Désormais, c'est chez cet associé-gérant vedette de chez Rothschild & Cie, de deux ans son cadet, que Jean-François Copé prend discrètement ses congés dans les Alpilles, en Provence, ou près de Porto-Vecchio, en Corse. Grégoire Chertok va faire beaucoup plus. C'est lui, avec la surface de son carnet d'adresses, qui va prendre le relais de Thierry Gaubert et organiser des rencontres moins clinquantes pour son cher ami. «Pour que ce soit clair, je ne finance pas Jean-François, je ne fais pas de fundraising, je n'aide pas Génération France», nous précisait il y un an cet as des fusions-acquisitions, également maire adjoint du 16e arrondissement de Paris et conseiller régional d'Île-de-France, mais aussi délégué général de Génération France à Paris.

Génération France ? Un club «0 % petites phrases, 100 % débats d'idées», auquel aucun des barons de l'UMP ne prête d'abord attention lors de sa création, en 2006. «Grégoire Chertok est le meilleur banquier de Paris, mais il n'a aucun sens politique. La preuve, il prend Copé pour un homme d'Etat», plaisante Alain Minc. Les sarkozystes, fillonnistes et juppéistes ne sont pas en reste, du moins avant que le petit club ne devienne une sorte de parti dans le parti, accueillant des intervenants prestigieux, comme un soir Manuel Valls, et visant clairement à donner à Copé les moyens d'assouvir son ambition présidentielle. «Avec son réseau de chefs d'entreprise, de businessmen, de financiers, Greg devient l'agent de liaison de Jean-François», confirme alors Bastien Millot, en expert.

Ils sont tous là, d'ailleurs, au mariage de Copé, en décembre 2011, lorsqu'il épouse en secondes noces Nadia d'Alincourt. Le discours de Chertok, témoin du marié, est applaudi par des politiques, souvent chiraquiens (Christian Jacob, François Baroin, Jean-Pierre Raffarin), mais aussi par le financier Serge Weinberg, l'administrateur de Bouygues Telecom et de la Société générale Michel Cicurel, l'homme d'affaires Charles Beigbeder (également secrétaire national à l'UMP), le PDG d'Europe 1 Denis Olivennes, l'homme de réseau Jean-Noël Tassez… ou encore l'ex-grand argentier du football français, Jean-Claude Darmon. Le cercle des intimes de Jean-François Copé compte aussi Michel Corbière, le patron d'Aquaboulevard, qui suit à la trace le destin de Copé, Alexandre de Juniac, le PDG d'Air France, Alain Weill, le patron de RMC et de BFM-TV, auquel Copé a remis la Légion d'honneur en 2007, ou encore le patron d'Eurazeo, Patrick Sayer, l'un des plus gros salaires français.

C'est encore Grégoire Chertok qui met Copé en relation avec Jean-Jacques Raquin, le senior partner du prestigieux cabinet Gide Loyrette Nouel, chez qui Copé devient avocat d'affaires en 2007. Une nouvelle imprudence. Après son divorce d'avec Valérie, que les copéistes les plus fervents tenaient pour responsable de ses dérives «bling-bling», Jean-François Copé était censé revenir à un train de vie plus sobre. L'embauche de Copé au sein du cabinet international, pour un temps partiel et un salaire tenu longtemps secret mais qui approchait les 20 000 euros mensuels, fait jaser. Il dirige alors le groupe UMP de l'Assemblée nationale, flanqué d'un cabinet d'une trentaine de collaborateurs digne de celui d'un ministre. La conjugaison des deux activités ressemble à un nouveau dérapage. A la cour des comptes, Philippe Séguin, outré, ne l'appelle plus que «maître Copé».

Député-avocat d'affaires ? Jusqu'à son départ forcé, en 2010, du puissant cabinet, Me Copé ne voit pas où est le mal. Y compris lorsqu'il est soupçonné de défendre, au Palais Bourbon, des amendements qui, à l'évidence, conviennent aux clients de « Gide ». Il n'a jamais compris où est le problème dans les libertés qu'il prend avec les usages ou la morale. En 2002, alors qu'il est ministre, il demande à son suppléant à l'Assemblée, Roger Boullonnois, d'embaucher sa première épouse, Valérie, comme assistante parlementaire. Il ne voit pas non plus le problème lorsque, en 2005, Le Canard enchaîné révèle qu'il dispose comme ministre délégué au budget d'un appartement de fonction de 160 m2 loué par l'Etat 5 500 euros par mois aux abords des Invalides, alors qu'il est lui-même propriétaire d'un appartement rue Raynouard, dans le 16e arrondissement de Paris. Un logement occupé alors par… son directeur adjoint de cabinet, Bastien Millot – encore lui.

Il ne voit toujours pas, en 2010, à l'époque où il dirige le groupe majoritaire à l'Assemblée, pourquoi il ne serait pas (avec Grégoire Chertok) membre du «comité consultatif» d'un fonds spéculatif, Lutetia Capital, ce qu'avait révélé Mediapart. «Jean-François a un problème avec l'endroit où mettre le curseur. Avant de lire Pour en finir avec les conflits d'intérêts , le livre de Martin Hirsch, il ne voyait pas où était le souci de faire de la politique et de travailler en même temps chez Gide», soupirait il y a un an Bastien Millot lui-même. «Il a une difficulté à cerner les individus, poursuivait le patron de Bygmalion. Takieddine, il ne s'en est pas méfié, il faut dire qu'à l'époque on n'avait pas la tentation de chercher sur Google le CV des gens. Tant qu'il ne se retrouve pas sur le gril médiatique, il ne voit pas où est le problème».

LAVRILLEUX, LE «TALLEYRAND» DE COPÉ

Quand, en novembre 2010, l'air bruisse de rumeurs de remaniement, Copé n'essaie pas d'entrer au gouvernement. Il réclame au contraire le secrétariat général de l'UMP. Ce n'est pas très glamour, mais c'est une machine de guerre et, dans la Ve République, quand on guigne les plus hautes fonctions de l'Etat, son petit vade-mecum lui a appris que mieux valait être dans la place. «Renoncer à être ministre pour prendre le parti, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus ingrat, surtout lorsqu'on est majoritaire, c'est la démonstration la plus implacable de son ambition présidentielle», analyse après coup Brice Hortefeux.

Pour cette tâche, il lui faut à nouveau un homme sûr. Il l'a trouvé en Jérôme Lavrilleux, un grand garçon mince au visage taillé à la serpe sous de fines lunettes et une petite barbe. Il y avait «Mme de Maintenon» – Millot – pour incarner, naguère, l'influence. A l'UMP, on appelle vite Lavrilleux le «Talleyrand» de Copé. «Un homme dur, calme, déterminé et sans états d'âme», décrit un connaisseur, «un patron de secte» qui appelle son patron «monsieur» et qu'on devine «prêt à mourirr pour lui». Toujours là au téléphone, pour apporter un conseil et rassurer. Ce fils de garagiste, doté d'un BTS de commerce international, a d'abord fait ses classes en politique à Saint-Quentin, dans l'Aisne, auprès de l'éternel rival de Copé, Xavier Bertrand, dont il fut le grand ami et le témoin de mariage, avant de se fâcher avec lui. «Parfois, je me demande qui de lui ou de Jean-François Copé commande vraiment. Je le crois aussi doué que son maître», lâche un ancien de l'équipe de Bertrand. C'est avec ce bad boy que Copé prend en quelques mois possession du parti.

A peine arrivé, le nouveau secrétaire général Copé réclame les fichiers de donateurs au trésorier de l'UMP, Dominique Dord, nommé quelques années auparavant par Xavier Bertrand. «La plupart d'entre eux sont déjà des donateurs de Génération France», lâche-t-il en auscultant les listes. Au bout de quelques semaines, Copé retire des attributions du trésorier de l'UMP tout ce qui relève de la recherche et du contrôle des recettes, le laissant juste payer les factures. Dominique Dord, au demeurant, ne proteste guère : l'UMP est restée traumatisée par les déboires d'Eric Woerth avec les donateurs du Premier Cercle, le club qui réunissait les plus riches donateurs de l'UMP. C'est Dord qui doit bientôt signer, pour les besoins de la campagne du chef d'Etat sortant, des chèques importants à Event, la filiale de Bygmalion. Il est vrai que l'équipe Sarkozy réclame quelques exploits, comme l'organisation du jour au lendemain et le convoyage de 500 000 personnes jusqu'à la place de la Concorde, lors d'un des derniers meetings de la campagne présidentielle.

La société de communication de Bastien Millot et de Guy Alvès est devenue la principale prestataire de l'UMP. Grâce à Lavrilleux, Bygmalion décroche au grand jour un contrat de formation et de mediatraining pour des élus de l'UMP, alors même qu'il existe, en interne, un organisme ad hoc chargé lui aussi de la formation des élus. En épluchant les statuts de la société, Le Point a découvert, parmi les actionnaires, le holding familial d'Emmanuel Limido, un gestionnaire de fonds qui avait servi d'intermédiaire entre le ministre du budget et le Qatar dans la vente de deux joyaux immobiliers de l'Etat. A l'UMP, personne n'est au courant.

La première fois qu'on avait vu Lavrilleux au grand jour, c'était lors du blietzkrieg sanglant qui avait déchiré le parti, à l'automne 2012. Sur BFM-TV, où la guerre pour la direction du mouvement se livrait en direct, on l'avait vu à l'écran, ventre creux et barbe de trois jours comme après un siège, accuser François Fillon de trucage. Cette semaine, dans le hall de l'UMP, Jérôme Lavrilleux est cette fois venu démentir les assertions du Point et promettre qu'Hervé Temime, l'avocat de Jean-François Copé, allait assigner le magazine. A sa suite, sur les écrans, sont apparus Bastien Millot et Guy Alvès. Ces lieutenants que le grand public découvre, à quelques mois des 50 ans de leur patron, dans un curieux parfum d'argent, de course au pouvoir et d'imprudences.

La Caricature de Daniel Hue

Copé - Millot - Lavrilleux

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