Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Blog de Daniel HUE le Crouycien
27 janvier 2014

Evasion fiscale : l'enquête explosive sur les listes de HSBC

Logo Le Monde Economie

HSBC

Un roman d'espionnage, une foire d'empoigne diplomatique, et surtout un bon moyen pour l'Etat français de se renflouer. L'affaire HSBC, c'est tout cela, et plus encore, avec son lot d'interventions, de pressions, d'immixtions du pouvoir politique. Car de grands noms, avocats, hommes d'affaires, vedettes du show-biz, sont cachés dans cette liste d'évadés fiscaux potentiels, titulaires d'un compte chez la filiale suisse de la banque britannique HSBC à Genève. Certains sont aujourd'hui révélés par Le Monde, d'autres en cours d'investigation.

Depuis que l'informaticien Hervé Falciani a fourni au fisc français, en plein cœur de l'hiver 2008, les données permettant d'identifier des fraudeurs français, mais aussi étrangers, tous détenteurs de comptes chez HSBC, la Suisse et la France se livrent une guerre souterraine sans merci. Près de 4,5 milliards d'euros dorment sur ces comptes, selon les calculs du député socialiste Christian Eckert, rapporteur de la commission des finances. L'enjeu est donc de taille, à la mesure d'une affaire extraordinaire dont Le Monde livre les détails.

Ruben Al-Chidiack, alias Hervé Falciani

Tout commence en 2008. Le rendez-vous est fixé dans l'urgence. Les DVD, contenant des dizaines de milliers de noms de fraudeurs, changeront de mains à 10 heures, à l'aéroport de Nice-Côte d'Azur Sacré cadeau de Noël pour le fisc français… Ce 25 décembre 2008, deux équipes de la Direction nationale d'enquêtes fiscales (DNEF) descendent en toute hâte à Nice. Huit mois qu'ils attendent ce moment. La DNEF, c'est le service de renseignement du fisc français, des enquêteurs au long cours, chargés de débusquer les fraudeurs. Ils tiennent là l'affaire du siècle.

C'est en avril 2008 que Roland Veillepeau, le patron de la DNEF, entend parler de l'informaticien Hervé Falciani. C'est son homologue anglais qui l'avertit. A l'époque, Falciani, qui travaille pour HSBC, agit caché sous une fausse identité. Il se fait appeler Ruben Al-Chidiack, et tente de monnayer ses talents au Libab, tout en contactant les services de renseignement européens. Il prétend disposer de la liste complète des clients de HSBC. Une aubaine pour qui mettra la main dessus.

Mais la DNEF ne veut pas payer, et souhaite surtout savoir avec qui elle travaille. La haute hiérarchie de Bercy est mise au courant. L'Elysée aussi, car Claude Guéant, devenu secrétaire général de Nicolas Sarkozy, a gardé des liens avec un responsable du contrôle fiscal, connu lors de son passage à Bercy.

La DGSE en renfort

Falciani est d'abord testé par la DNEF. Veillepeau est un dur à cuire, un Breton avec 38 ans de contrôle fiscal au compteur, réputé incontrôlableIl exige des garanties. Des équipes de la DNEF rencontrent l'informaticien à la frontière franco-suisse. Avec eux, un expert en évaluation comportementale de la DGSE, et quelques officiers du service action, au cas où. Les entretiens sont filmés, sonorisés. Deux rencontres sont organisées, l'homme semble fiable, même s'il refuse de lâcher son véritable nom.

S'il avait, au début, des motivations commerciales, son patriotisme, encouragé par ses officiers traitants, prend le dessus. «Il était clair qu'il ne voulait pas d'argent», soutient sur procès-verbal Jean-Patrick Martini, son agent traitant à la DNEF. Il fournit sept noms d'éventuels fraudeurs. La DNEF vérifie. Ça colle. A chaque fois, Falciani est raccompagné sur le territoire suisse par la DGSE. Précautions maximales – il ne faut pas éveiller l'attention des Suisses. La DNEF s'équipe en prévision de la fourniture des données. Elle achète un logiciel à 300 000€, embauche des informaticiens, et ses meilleurs hommes, regroupés au sein de la cellule des affaires particulières, sont sur le pont.

L'affaire prend une sale tournure le 22 décembre 2008. Ce jour-là, les autorités suisses perquisitionnent le bureau de Falciani. Elles pensent tenir l'homme qui a essayé, lors d'une virée au Liban, de monnayer ses listings. Falciani est convoqué pour le lendemain. Il s'enfuit en voiture, direction la France, Menton. Avec ses ordinateurs. Et les données compilées des nuits entières. Falciani contacte Jean-Patrick Martini. Il a besoin d'aide. Il se dit prêt à coopérer.A Bercy, on fonce. On lui déniche même un avocat. C'est ainsi que le 26 décembre 2008, quatre DVD sont remis par Falciani à la DNEF, à une table d'un café de l'aéroport, bien en vue des caméras scrutant l'espace public. Il y a là des dizaines de gigaoctets de données cryptées, brutes. Il faut s'atteler à leur retranscription. Là encore, la DGSE est mise à contribution, avec ses immenses moyens techniques. Et très vite, des noms apparaissent. Falciani n'a pas menti, il est bien l'homme qui savait tout.

Les premiers noms connus repérés

Des équipes de la DNEF descendent à Nice, s'installent à l'hôtel, les logiciels tournent à plein régime. Les noms de personnalités sortent très vite : le cuisinier Paul Bocuse, par exemple. Le préfet Jean-Charles Marchiani. Ou encore le gestionnaire de fonds Patrice de Maistre, qui deviendra célèbre quelques mois plus tard dans l'affaire Bettencourt. Patrice de Maistre, l'ami d'Eric Woerth, le trésorier de l'UMP placé à la tête de Bercy en 2007. Gros ennuis à venir.

«Tous les éléments que nous avons trouvés et pu vérifier ont conforté l'authenticité des données en la possession de M. Falciani», confirme M. Martini. «C'était un travail de fourmi, se souvient devant les enquêteurs Thibaut Lestrade, informaticien à la DNEF. Il fallait comprendre les codes. En termes informatiques et fiscaux, ces données ont été entièrement validées».

Mais le 20 janvier 2009, nouveau coup de théâtre. A la demande de la Suisse, une perquisition est menée au domicile d'Hervé Falciani en France, sous l'autorité du procureur de Nice Eric de Montgolfier. Les ordinateurs sont saisis. La Suisse exige leur restitution immédiate. Le procureur s'y oppose : il vient d'apprendre par un gendarme que Falciani travaille pour la DNEF. Branle-bas diplomatique. Faut-il remettre les données à la Suisse, au risque de les voir disparaître dans les limbes du secret fiscal helvétique ? Le procureur de Montgolfier s'oppose à sa hiérarchie.

La justice embarrassée

En haut lieu, à la chancellerie notamment, l'affaire suscite l'embarras. Les gendarmes sont chargés de reconstituer le fichier. Deux listings sont donc en cours d'élaboration, à partir des mêmes données : le fichier A, réalisé par le fisc, contenant au final 2 846 noms de fraudeurs potentiels, et le fichier B, aux mains de la justice, qui compte pour sa part, après application de divers critères, 2 956 identités. Montant moyen des avoirs dissimulés : 166 802€ par foyer fiscal. Les listings se recoupent, mais diffèrent sur certains points, tant les méthodes utilisées sont distinctes.

Mais il faut croire qu'en France, on ne travaille pas impunément sur de tels dossiers. En décembre 2010, Eric de Montgolfier est dessaisi au profit du parquet de Paris. Les fichiers sont transmis avec un luxe de précautions.Les enquêteurs notent très vite une différence : alors qu'ils s'apprêtent à mettre en cause des personnalités, on leur demande de différer leurs efforts. Les investigateurs de la douane judiciaire, notamment, demeurent amers. Ils se souviennent des freins rencontrés, des magistrats tétanisés. Ils ont dû remiser leurs formulaires, pourtant déjà rédigés, de perquisitions sans assentiment. Il se passe des choses bizarres. Le nom de Marchiani disparaît subitement du listing judiciaire.

Pour Christian Eckert, auteur d'un rapport qui fait autorité sur l'affaire HSBC, cela ne fait pas de doute : «Côté judiciaire, il y a eu une vraie volonté d'enterrer l'affaire quand elle a été transmise à Paris, déclare-t-il au Monde. Le fisc, lui, a bien travaillé. Croyez-moi, si j'avais trouvé quelque chose sur Eric Woerth, je ne l'aurais pas loupé»

Bercy donne l'ordre de tout arrêter

Le député Christian Eckert n'a pas auditionné, lors de ses travaux, Roland Veillepeau, l'ex-patron de la DNEF. Selon des protagonistes de l'affaire, rencontrés par Le Monde, celui-ci aurait pu lui expliquer comment, en janvier 2009, un directeur de Bercy lui a demandé de cesser son enquête. Sur ordre de qui ? Veillepeau ne l'a jamais su. Il a refusé, bien sûr, exigeant en tout état de cause des ordres écrits. Qui ne lui parviendront jamais. Ses proches racontent comment, en mars 2009, deux après son arrivée à la DNEF, il a appris, en vacances en Chine, qu'il était viré. La règle veut qu'un directeur de la DNEF demeure cinq ans en fonction. Au bout de deux ans, Roland Veillepeau est sommé de quitter son poste, on lui en propose un autre à Paris.

Il pose ses conditions : il ne fera pas de bruit, mais souhaite aller à Toulouse. Il obtient gain de cause dans la journée. Il est aujourd'hui, à quelques mois de la retraite, conservateur des hypothèques dans cette ville. Une sinécure très bien payée. S'est-il montré trop proactif ?«Il m'a semblé qu'il s'agissait d'une sanction», relève en tout cas M. de Montgolfier, qui s'était félicité de sa collaboration avec la DNEF.

Avant son départ précipité, Roland Veillepeau a pris la précaution d'entrer, un par un, tous les noms des contribuables suspectés dans la base interne du contrôle fiscal. On ne peut plus y toucher. Les contrôles se poursuivent aujourd'hui, y compris sur les comptes à solde négatif. Les pénalités tombent : 231 millions d'euros à ce jour, plus de 700 contribuables redressés. Et côté judiciaire, avec la saisine du juge Van Ruymbeke, l'enquête est enfin repartie.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Le Blog de Daniel HUE le Crouycien
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 842 187
Publicité