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Le Blog de Daniel HUE le Crouycien
24 juin 2015

WikiLeaks : quand Sarkozy jouait les VRP de Ricard aux Etats-Unis

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FOCUS - En 2010, peu avant sa visite à Obama, le chef de l'Etat, tout en s'inquiétant de l'espionnage des Américains, s'est employé à défendre les Pernod Ricard outre-Atlantique.

LA NOTE DE LA NSA (24 MARS 2010)

Sujets sensibles au programme lors de la rencontre entre les présidents français et américain la semaine prochaine à Washington (TS//SI//NF)

«-Le président français, Nicolas Sarkozy, projette d’aborder un certain nombre de sujets sensibles avec le président américain lorsque les deux chefs d’Etat se rencontreront à Washington le 31 mars, selon un échange qui a eu lieu la semaine dernière entre l’ambassadeur français à Washington, Pierre Vimont, et le conseiller diplomatique de Sarkozy, Jean-David Levitte. Vimont a annoncé que le président français allait faire part de son mécontentement à la suite du recul de Washington sur sa proposition d’accord de coopération bilatérale sur le renseignement, et Sarkozy a bien l’intention d’insister pour que cet accord se fasse. Du point de vue de Vimont et de Levitte, le principal point de friction est le souhait des Etats-Unis de continuer à espionner la France. Sur le sujet de l’Afghanistan, Levitte a souligné que Sarkozy était prêt à autoriser l’envoi de davantage d’instructeurs militaires, mais qu’il souhaitait une clarification sur le nombre qu’il était nécessaire d’envoyer, au vu des chiffres contradictoires fournis par les sources américaines.

-Autre sujet proposé, les tentatives d’EADS de remporter un contrat pour un avion ravitailleur avec l’armée américaine. Vimont a révélé à demi-mot que l’accord avançait, mais sans donner aucun détail.

-Levitte ne s’attendait pas à ce que la querelle d’étiquetage avec Pernod Ricard (deuxième plus grand alcoolier du monde) soit au programme, mais Sarkozy venait juste de parler avec le président du groupe qui lui avait demandé d’intercéder en sa faveur. (COMMENTAIRE : Patrick Ricard, président du comité de direction de Pernod Ricard, serait l’un des soutiens fortunés de Sarkozy). Vimont a qualifié la question de sujet très politique aux Etats-Unis, et suggéré qu’un appel direct à la Maison Blanche pourrait être utile. Tandis que Sarkozy réglera la question avec le président américain, Levitte s’entretiendra avec le conseiller économique et le conseiller adjoint à la Sécurité nationale du président des Etats-Unis.

-Enfin, Levitte attendait des deux chefs d’Etat qu’ils s’entretiennent d’autres sujets urgents dont l’Iran, le processus de paix au Proche-Orient, l’Afghanistan et le Pakistan, le Yémen, la Somalie, le Sahel, la Russie, la Chine, la Turquie, le réchauffement climatique et la situation financière de plusieurs pays européens ; il n’a toutefois pas donné de détails sur ces sujets».

CE QUE L’ON PEUT EN DIRE

C’est l’un des principaux déplacements diplomatiques du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Le 30 mars 2010, le président français est reçu à Washington pour la première fois depuis l’élection de Barack Obama. L’occasion d’afficher un front uni entre les deux pays, après les tensions observées au cours des mois précédents, notamment sur le dossier iranien ou le conflit israélo-palestinien. Officiellement, la visite est un succès. «Rarement dans l’histoire de nos deux pays, la communauté de vue entre l’Amérique et la France n’a été aussi identique», se félicite Sarkozy lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche. «Nous n’avons jamais été plus proches», renchérit Obama. Une belle histoire que vient écorner ce rapport d’analyse de la NSA, rédigé une semaine avant la rencontre entre les deux chefs d’Etat à Washington.

Datée du 24 mars 2010 et estampillée «Top Secret», la note relate un échange entre l’ambassadeur de France à Washington, Pierre Vimont, et le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, Jean-David Levitte, dont le portable a été placé sur écoute. D’après la conversation entre les deux hommes, un sujet préoccupe tout particulièrement Sarkozy  : l’espionnage de la France par les Etats-Unis. Le président français s’inquiète du recul de Washington sur la proposition d’accord de coopération bilatérale pour les renseignements. L’accord en question fait l’objet depuis plusieurs mois de discussions poussées entre Bernard Bajolet, coordinateur national du renseignement (aujourd’hui patron de la DGSE) et Dennis Blair, son homologue américain. Les deux services amis réfléchissent alors à un pacte de non-espionnage, sur le modèle du gentleman’s agreement entre Washington et Londres. Mais la Maison Blanche voit d’un mauvais œil ce programme, qui empêcherait les grandes oreilles américaines d’écouter l’Hexagone. Au cours de leur échange, Vimont et Levitte estiment d’ailleurs que «le souhait des Etats Unis de continuer à espionner la France» constitue le principal «point de friction» entre les deux pays. Les diplomates ont eu le nez creux : deux mois plus tard, Dennis Blair sera écarté de son poste pour avoir donné trop de gages aux Français.

L’espionnage entre alliés n’est pas le seul dossier que Sarkozy souhaite voir aborder à Washington. Toujours selon la NSA, Vimont et Levitte évoquent également un contrat d’EADS avec l’armée américaine, la situation en Afghanistan ou encore le réchauffement climatique. Mais un autre sujet, plus inattendu, s’invite au dernier moment dans la discussion  : l’avenir de Pernod Ricard, en guerre contre son concurrent Bacardi pour l’exploitation du label «Havana Club» aux Etats-Unis. Quelques jours avant la réunion à la Maison Blanche, Levitte ne s’attendait manifestement pas à ce que le sort de Pernod Ricard soit au programme. C’est Sarkozy lui-même, après un coup de fil de Patrick Ricard, qui a glissé in extremis le sujet à l’agenda. «Patrick Ricard serait l’un des soutiens fortunés de Sarkozy», note au passage la note de la NSA.

Si rien ne prouve que le patron du groupe de spiritueux a financé une des campagnes de Nicolas Sarkozy, son soutien à l’ancien président est en revanche avéré. En 2006, en plein débat sur l’ISF, Patrick Ricard avait même menacé de quitter la France si Sarkozy n’était pas élu. Reconnaissant, ce dernier l’avait décoré quelques mois plus tard de la Légion d’honneur. Une proximité qui semble justifier toutes les attentions de la part du VRP de l’Elysée. Considérant que le dossier Ricard est un «sujet très politique», Pierre Vimont suggère d’appeler directement la Maison Blanche. Une double stratégie est alors établie. Côté officiel, Nicolas Sarkozy défendra directement la cause de l’alcoolier auprès de Barack Obama. Côté coulisses, Jean David Levitte s’entretiendra du sujet avec le conseiller économique et le conseiller à la sécurité nationale du président des Etats Unis. Les amateurs de pastis apprécieront la manœuvre.

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