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Le Blog de Daniel HUE le Crouycien
10 février 2015

Décarbonisation : les électriciens n’y croient pas

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Philippe JoubertInvité de l’Association des journalistes pour l’environnement et le climat (Ajec21), Philippe Joubert a joué les Cassandre. Pour l’ancien président d’Alstom Power, les conditions ne sont pas (du tout) réunies pour inciter les électriciens à massivement décarboner leur parc de production. A supposer même qu’ils puissent le développer.

C’est entendu. Pour avoir une chance sur deux de stabiliser à 2°C le réchauffement pour la fin du siècle, de très gros efforts de réduction d’émission de gaz à effet de serre devront être faits. Un exemple: le secteur électrique. A

l’origine de 40% des rejets anthropiques de GES, EDF et ses consœurs devront totalement décarboner leur production vers le milieu du siècle. Mission impossible? Tout dépend de la façon dont on répond à la question. Techniquement, les solutions existent. «Entre le captage-stockage de CO2, les énergies renouvelables, le nucléaire, l’efficacité énergétique, nous avons de quoi abattre nos émissions», reconnaît Philippe Joubert.

Palette de technologies

Un scénario bâti en 2010 par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime possible de diviser par 4 les émissions carbonées du secteur en 40 ans en utilisant cette palette de technologies. Leur généralisation n’est toutefois pas à l’ordre du jour. «D’une façon générale, nous ne disposons pas de l’outil industriel pour répondre aux besoins qui s’exprimeront ces prochaines décennies», avance l’ancien patron d’Alstom Power. Avec un accroissement de 30% de la population mondiale d’ici 2050, un PIB qui devrait tripler, la demande énergétique globale doublera ces 40 prochaines années. En combinant tous leurs moyens, General Electric, Alstom, Roll Royce, Siemens et leurs compétiteurs ne pourront fournir la demande. Ce n’est pas tout.

Fossile, toujours

Toujours massivement d’origine fossile, la production de courant le restera. Un aperçu des commandes de centrales électriques récemment passées montre que plus de la moitié des centrales en cours de construction, en Chine, en Asie, au Moyen-Orient, en Russie, consommeront du charbon ou du gaz. Aux Etats-Unis, cette proportion tombe à… 40%. Au total, a calculé le World Resources Institute (WRI), ce sont plus de 1.400 gigawatts de centrales à charbon qui pourraient être mises à feu au cours des prochaines années. Des installations appelées à fonctionner durant un bon demi-siècle. Un rapide calcul de coin de table montre qu’elles émettront, à elles seules, 7 milliards de tonnes de CO2 par an : l’équivalent de 20% de nos rejets carbonés actuels. La décarbonation a de gros plombs dans l’aile.

choix mortifère

Comment expliquer ce choix mortifère ? «Ce n’est pas un problème de coût, précise Philippe Joubert. A l’exception de l’éolien offshore, la plupart des technologies de production d’électricité bas carbone affichent des coûts de production comparables et relativement peu élevé.» Pour l’ancien industriel, le fond du problème est politique. «Tant que les politiques ne fixeront pas de contrainte au secteur électrique et qu’ils ne créeront pas les conditions propices à la fixation d’un prix du carbone crédible, les électriciens continueront de faire au plus simple». Même économique, le «bas carbone» est source de difficultés nouvelles. La montée en puissance des énergies intermittentes nécessite de mettre en place de nouvelles architectures de réseau de transport et de distribution : des réseaux dits «intelligents» (Smart grids). Pour mémoire, il faut une décennie pour tirer une seule ligne de transport d’électricité en France. Le transport (par gazoduc) et la séquestration géologique du carbone posent d’insolubles problèmes d’acceptation, notamment dans les zones densément peuplées comme l’Europe ou certaines régions d’Asie.

Du terrain et de l’eau

Deux difficultés semblent particulièrement insurmontables aux électriciens: les conflits d’usage pour le territoire et l’eau. Jusqu’à présent, on a toujours produit l’électricité à proximité (plus ou moins) des lieux de consommation. Avec le processus de densification urbaine en cours, la place dans les villes, et plus encore, autour des villes, deviendra de plus en plus chère. Or, à l’exception des centrales «classiques», toutes les sources de production d’électricité «faiblement carbonées» prennent de la place. «Pour disposer d’une capacité de 1.000 mégawatts de photovoltaïque, nous devez disposer d’une cinquantaine de kilomètre carrés. Pour l’éolien, vous avez besoin de près de 300 km2». Le pompon étant détenu par les centrales à biomasse : «Si l’on prend en compte la surface des forêts nécessaire à son approvisionnement en bois, un projet comme celui de la centrale britannique de Drax (400 MW) va consommer 10.000 km2».

Stress hydrique

On l’oublie trop souvent, l’eau est indispensable à la production d’énergie. Cela va de soi pour les centrales hydroélectriques. Mais toutes les centrales thermiques (à charbon, à gaz ou nucléaire) en utilisent de gros volumes pour produire la vapeur qui actionnera les turbines et assurer leur refroidissement. En Europe, 44% de l’eau douce extraite est ainsi dédiée à la production d’énergie. Toutes les filières n’ont pas les mêmes besoin. Une éolienne consommera quelques litres d’eau pour produire un mégawattheure. A l’autre extrémité de la fourchette, les centrales thermiques engloutissent des milliers de litres par MWh produit. Problème : nombre de zones densément peuplées (et donc grosse consommatrices d’électricité) connaissent aussi des problèmes d’approvisionnement en eau : Californie, Maghreb, Afrique du Sud, Inde, Moyen-Orient, Asie centrale. La moitié des projets chinois de centrales au charbon se situent dans des régions à stress hydrique «très ou extrêmement important», rappelait récemment une étude du WRI. Pas étonnant, dans ces conditions, que certaines agences de notation dégradent les notes des compagnies minières installées dans les zones à sec.

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