Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Blog de Daniel HUE le Crouycien
2 décembre 2014

Wauquiez ressuscite le chiffre de la délinquance qui ne veut rien dire

Logo Libération

Laurent Wauquiez 01

DÉSINTOX L'ancien ministre assure que Nicolas Sarkozy avait réussi depuis 2002 à faire baisser de 16% la délinquance, épargnant 700 000 victimes. Une comptabilité qui n'a pas de sens.

«Pendant la période où Sarkozy s’en est occupé, la délinquance a baissé de 16%. On a eu 700 000 victimes qui ont été épargnées».

INTOX. Au secours, il est revenu ! Deux ans qu’on ne l’avait pas entendu. Revoilà… le chiffre unique de la délinquance. La tarte à la crème de la com' sécuritaire. L’attrape-couillon statistique par excellence. Et c’est dans la bouche de Laurent Wauquiez, lundi sur France 2, qu’on a entendu renaître ce triste phénix. Lors de l’émission Mots croisés, le soutien de Nicolas Sarkozy a plongé les yeux sur une petite fiche et s’est mis à réciter : «Pendant la période où Sarkozy s’en est occupé, la délinquance a baissé de 16%. On a eu 700 000 victimes qui ont été épargnées».

DÉSINTOX. Quiconque a suivi la campagne de 2012 croit entendre comme un écho. Claude Guéant, ministre et soutien de Nicolas Sarkozy, avait répété à peu près les mêmes chiffres à tous les micros qu’il croisait. En 2011, déjà, Brice Hortefeux, prédécesseur de Guéant à Beauvau, avait, lui, sorti un joli panneau sur le plateau de TF1, indiquant une baisse de la délinquance de 16,2% depuis 2002. Déjà pour souligner, comme Wauquiez lundi, les miracles de la politique de Nicolas Sarkozy.

Brice Hortefeux 02

Avant de comprendre pourquoi le chiffre ne veut rien dire, comprenons comment il est fabriqué. Si on met bout à bout le total des infractions référencées dans les quatre grands agrégats de la délinquance (atteintes aux biens, atteintes volontaires à l’intégration physique, infractions économiques et infractions révélées par l’action des services – qui ne figurent pas sur le tableau) on arrive à une baisse de 700 000 faits constatés entre 2002 et 2010. Soit environ la baisse de 16% évoquée par Hortefeux et Wauquiez.

Chiffres délinquance

Hélas, le fait de mettre toute la délinquance dans le même grand sac (selon la présentation dite du «chiffre unique» de la délinquance) n’a pas de sens. Prenons un exemple simple : toutes choses égales par ailleurs, une baisse de 1 000 dégradations d’abribus assortie d’une hausse de 500 meurtres aboutit à une baisse de la délinquance de 500 faits. Doit-on s’en féliciter ? Les faits de délinquance, de gravité et de nature diverses, évoluent différemment. Et sur la période de référence choisie par Wauquiez, les atteintes aux biens constatées ont beaucoup baissé, alors que les enregistrements d’atteintes aux personnes et de faits de délinquance économique ont augmenté. Faire une statistique globale de tout cela pour illustrer la délinquance ne veut rien dire. Voici ce que l’Observatoire national de la délinquance (ONDRP), que Sarkozy a créé en 2003 – mais sans jamais avoir écouté ses recommandations méthodologiques en matière d’usage des stats – disait en 2009 : «Le total des faits constatés est un calcul non pertinent en raison de son hétérogénéité. Ce n’est pas un chiffre utile dans l’analyse des phénomènes de délinquance. Son utilisation comme chiffre unique, surtout lorsqu’il est assimilé à "la délinquance", est une simplification grossière qui induit en erreur. Le projet même de mesurer en un seul chiffre "magique" la délinquance est illusoire».

Mais Wauquiez va plus loin en traduisant cette baisse du nombre de faits constatés en «victimes épargnées». Ce qui revient à ajouter de la bêtise à la bêtise. C’est d’abord une erreur statistique : les forces de l’ordre, dans l’enregistrement des faits constatés, utilisent plusieurs unités de compte selon le type de délits ou de crimes. Cela peut être la victime (dans le cas d’une agression physique par exemple), mais aussi l’infraction elle-même (qui peut faire plusieurs victimes, ou pas du tout). Certains délits touchent des personnes physiques (les agressions) quand d’autres lèsent des personnes morales (les dégradations de bâtiments publics). Enfin, certains délits ne font aucune victime. C’est le cas d’une grande majorité des délits catégorisés en «Infractions relevées par l’action des services (Iras), telles les interpellations de consommateurs de stupéfiants ou de sans-papiers.

Et quand bien même les faits enregistrés feraient tous des victimes, cela n’aurait aucun sens de toutes les mêler dans un même décompte, au regard de la diversité des crimes ou délits subis : braconnage, vol à la tire, dégradation de biens publics ou viol.

C’est à Nicolas Sarkozy qu’on doit cette équivalence faits=victimes à visée compassionnelle. En 2003, alors ministre de l’Intérieur, il déclarait : «En une année, plus de 4 millions de faits constatés, ce sont plus de 4 millions de victimes dont beaucoup ne verront plus l’avenir avec autant de joie et d’insouciance qu’auparavant».

Ce qu’il y a de désolant avec le retour de cette grossière présentation des chiffres de la délinquance, c’est qu’on croyait en être débarrassé. Après dix années de lutte, l’ONDRP avait cru toucher au but. Dans son rapport de 2012, l’Observatoire se félicitait d’être «parvenu, non sans mal, à faire comprendre que le chiffre unique n’avait aucun sens». En janvier 2012, dans une louable (quoique bien tardive) contrition, Claude Guéant avait en effet annoncé dans une conférence de presse la fin de cette comptabilisation. Et de fait, le ministère de l’Intérieur a abandonné le chiffre unique depuis. Tout ça pour que Laurent Wauquiez (ou l’auteur de sa fiche) le ressuscite aujourd’hui. Misère.

Cédric MATHIOT

Publicité
Publicité
Commentaires
Le Blog de Daniel HUE le Crouycien
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 841 998
Publicité