Longtemps, les seniors ont été associés au conservatisme et à l’attachement aux traditions. Mais une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) publiée ce mois-ci montre que les Français de plus de 60 ans sont de plus en plus ouverts aux évolutions sociétales. Parmi les 60-69 ans, près d’une personne sur deux (48%) se dit par exemple favorable au mariage homosexuel, et 37% ne voient pas d’inconvénient à l’homoparentalité. Deux chiffres qui ont fortement augmenté depuis cinq ans (respectivement +10 et +8 points). A titre de comparaison, chez les moins de 60 ans, plus de deux répondants sur trois (69%) se prononcent en faveur du mariage pour les couples de même sexe.

Les données utilisées sont tirées de l’enquête sur les «Conditions de vie et aspirations», menée chaque année par le Crédoc auprès de 2 000 personnes majeures (dont environ un quart de plus de 60 ans). Un panorama annuel qui rend compte d’une évolution des mentalités sur un temps long. Si, il y a deux décennies, les sexagénaires déclaraient que la drogue était leur premier sujet de préoccupation (à 44%), seuls 13% d’entre eux citent ce problème aujourd’hui. Comme le reste de la population, c’est désormais le chômage qui les inquiète le plus (pour plus d’un senior sur trois).

La raison est simple, d’après Serge Guérin, sociologue spécialiste des questions liées au vieillissement : «Certains ont eux-mêmes vécu le chômage, qui n’épargne pas les plus âgés dans les entreprises. Et il y a l’effet de la solidarité intergénérationnelle : beaucoup voient leurs enfants ou leurs petits-enfants souffrir de cette situation». Outre le travail, la famille est en tête des sujets jugés très importants.

Des seniors plus libéraux et moins pauvres 

L’explication principale de la libéralisation des mœurs des Français les plus âgés est en fait très simple : «Les seniors d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que ceux d’hier !», souligne Serge Guérin. «On ne devient pas plus conservateur ni réactionnaire du jour au lendemain, en passant le cap des 60 ans». Patricia Croutte, chargée de recherche au Crédoc et coauteure de l’étude, confirme : «Les sexagénaires de 2014 sont les enfants du baby-boom, qui ont connu une période idéale pour rentrer sur le marché du travail et accéder à la propriété».

Le taux de pauvreté est aujourd’hui plus faible en France chez les 65 ans et plus (9,7%) que dans l’ensemble de la population (14%). Moins précaires et en meilleure santé, les seniors apparaissent plus en phase avec leurs cadets. En outre, leur génération a connu mai 68 et ils ont grandi dans un climat plus progressiste qu’auparavant.

Cette plus grande ouverture d’esprit trouve aussi son origine dans l’accès aux nouvelles technologies et au fait d’être connecté. «Les seniors sont des contemporains, ils sont complètement dans le coup et cherchent à comprendre ce qui se passe. Ils s’informent beaucoup et ont une conscience forte des évolutions de la société», justifie Serge Guérin. Quelque 64% des sexagénaires disposent d’une connexion à internet à leur domicile. Mais c’est le cas de seulement 29% des 70 ans et plus.

L’âge, facteur moins déterminant que le milieu social 

Le sociologue rappelle d’ailleurs la nécessité de distinguer plusieurs catégories parmi les seniors : «l’appellation recouvre quasiment trois générations, les sexagénaires, les octogénaires et même les centenaires, fait-il valoir. Or il y a un effet d’âge : les plus jeunes sont sans doute plus ouverts». En outre, la fracture générationnelle ne doit pas occulter les fractures géographiques et socio-économiques, précise-t-il. Les mentalités sont ainsi susceptibles de varier beaucoup plus en fonction du lieu de résidence ou de la catégorie sociale qu’en fonction de l’âge.

Dernier signe d’un conservatisme qui demeure, malgré une évolution dans de nombreux domaines : les personnes âgées restent attachées aux institutions. Elles seraient notamment moins touchées par la défiance croissante envers les gouvernements successifs. Quant au regard qu’elles portent sur les plus démunis, il est «un peu moins compatissant», constate Patricia Croutte, qui donne un exemple : «un senior sur deux estime que les aides de l’Etat aux familles avec enfants sont suffisantes. C’est dix points de plus que le reste de la population». Un chiffre que Serge Guérin explique par «les notions de droit et de devoir, qu’on a un peu perdues. Derrière, il y a l’idée qu’un nombre croissant de gens touchent des aides sans avoir rien donné».

Elise GODEAU