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Le Blog de Daniel HUE le Crouycien
10 avril 2014

Suppression de subventions : l’argument juridique du Front national est-il fondé ?

A peine élu à Hénin-Beaumont, le frontiste Steeve Briois a suspendu la subvention accordée à la Ligue des droits de l'homme, qui avait appelé «à barrer la route» à son parti lors de la campagne des municipales.

Ligue des droits de l'homme

Une belle opération communication. A peine élu à Hénin-Beaumont, le nouveau maire Front National Steeve Briois annonce l'expulsion de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH) du local qu'elle occupait gratuitement depuis une dizaine d'années, et la suppression des subventions allouées à l'association. Le 8 avril, il se justifie d'un communiqué sur le site Nation Presse : «Depuis des années, [la LDH] bénéficiait de subventions municipales et d’un local municipal en toute illégalité. Non seulement, aucun bail n’a été signé entre l’association d’extrême gauche et la mairie faisant de la LDH, un occupant sans droit ni titre mais plus grave, ces subventions sont totalement illégales ». Le frontiste s'appuie sur un arrêt du Conseil d'Etat du 28 octobre 2002, qui valide la contestation des subventions versées à la Licra de Draguignan. 

Le même jour, le vice-président du FN Florian Philippot est invité sur Europe 1. Interrogé par une auditrice inquiète qui fait le parallèle avec la gestion des villes conquises par le parti en 1995 [à Orange, Vitrolles, Marignane et Toulon, les mairies avaient voté des coupes de subventions ouvertement politiques et massives aux associations culturelles ou oeuvrant à l'intégration, ndlr], Philippot s'énerve: « Les maires qui coupent les subventions ne respectent pas la loi, ils appliquent ce que la loi leur demande d’appliquer, ils n’ont même pas le choix. Il faudrait qu’un seul contribuable attaque une décision de subvention et elle tomberait, parce que le Conseil d’Etat demanderait à la mairie de cesser de subventionner la LDH. Mais ça permettrait de mieux subventionner les associations qui oeuvrent pour l’intérêt communal.»

Florian Philippot

Si la LDH d’Hénin-Carvin [la section locale de la LDH visée par la coupe de subventions, ndlr] n’a jamais caché son activité politique et sa volonté de lutter contre le FN (elle a notamment distribué des tracts appelant au «barrage» pendant la campagne municipale), Steeve Briois avait lui aussi officialisé depuis longtemps sa sympathie pour l’association (lorsqu'il était encore conseiller municipal, il l'avait élégamment avait rebaptisé la «ligue des cloportes» dans un billet publié en mars 2007 sur son blog). Mais le nouveau maire FN qui accuse les «avantages illégaux» attribués à l'association peut-il légalement utiliser le droit pour expulser la LDH et lui couper les vivres ? L'association subit-elle un «traitement de faveur» propre aux communes d'extrême droite ? Décryptage.

Quels sont les critères juridiques qui permettent à un maire d’attribuer ou de refuser une subvention à une association ?

Lorsque le conseil municipal vote l'attribution ou la suppression d'une subvention, c’est d'abord la notion d’intérêt communal (telle que définie par la jurisrudence du Conseil d'Etat) qui importe - c'est-à-dire le rattachement suffisamment important à l’intérêt général local. Ce qui exclut donc les associations qui mènent seulement des actions nationales à l’étranger. Mais des aménagements sont toujours possibles : le financement d’une voiture, d’un bateau dans une compétition sportive peut par exemple être d'intérêt communal s'il est contrebalancé par la promotion de la ville. 

Second critère : la subvention ne doit pas financer les activités politiques ou partisanes de l’association. C’est effectivement ce qui a été décidé par le Conseil d'Etat en 2002, quand un habitant de Draguignan a contesté les subventions versées à la Licra (l'arrêt auquel Briois se réfère pour justifier sa décision). «Ce critère est celui qui est le plus soumis à l’interprétation du juge. Mais il y a plein de situations limites ou l’intérêt communal est aussi sujet à interprétation», explique Serge Slama, maître de conférence en droit public à l’université d’Evry Val-d’Essonne. 

Dans quelle mesure Steeve Briois peut-il comparer la condamnation de la Licra de Draguignan à la situation de la LDH d'Hénin-Beaumont ?

«Si l'association s’est installée officiellement pour lutter contre le FN, la coupe de subventions peut être juridiquement justifiée», note Frédéric Rolin, professeur de droit public à l’université Paris-Sud et avocat. «Mais si l’association participe ou organise des actions locales, comme c'était le cas de la LDH d'Hénin, ça l'est beaucoup moins».

Certes, la LDH n'a jamais caché son engagement politique historique. «Nous avons toujours appelé à la constitution d'un front républicain pendant les élections, c'est une position de longue date, rappelle Alain Pruvot, président de la section locale de la LDH. Mais monsieur Briois feint d'ignorer que nous agissons sur bien d'autres fronts, et pas seulement pendant les périodes électorales».

De fait, difficile de considérer que l'association n'a mené aucune action en faveur de l'intérêt communal : outre l'organisation du concours de poésie annuel, la LDH d'Hénin a aussi participé à celle d'un cross scolaire, et elle recevait régulièrement des personnes en difficulté (notamment des sans-papiers) pour les conseiller sur des questions relatives au droit du travail, par exemple.

«Steeve Briois fait une interprétation extensive de l’arrêt du Conseil d'Etat de 2002», résume Serge Slama. «Mais en l’occurrence, la Licra s’était vue contester deux demandes de subventions, une en 1993 et une en 1997. Si la subvention de 1993 a été annulée, celle de 1997 a été validée par la Cour d’appel administrative de Marseille, qui a jugé qu’à cette date l’association respectait bien l’intérêt communal. C’est évidemment une question d’appréciation.» 

Florian Philippot a-t-il raison d'affirmer que «les maires n’ont pas [d’autre] choix» que de couper les subventions à la LDH et d'«appliquer la loi» ? La contestation des contribuables peut-elle entraîner un retrait systématique de ces subventions ?

Un maire n’est jamais dans l’obligation de subventionner une association, cela reste une faculté. Dit autrement, les associations ne peuvent pas faire valoir un droit à la subvention. «Le maire n’applique pas la loi en décidant d'attribuer ou de supprimer des subventions, il met en oeuvre son pouvoir discrétionnaire», résume Fédéric Rolin.

Les contribuables peuvent en effet contester tous les types de subventions s’ils estiment qu’ils sont contraires au critère d'intérêt communal. Ou l’inverse (attaquer une coupe de subvention jugée illégitime). Le juge administratif doit ensuite vérifier si l'accusation est fondée ou non.

Mais pour Serge Slama, «Florian Philippot se trompe en sous-entendant une généralisation du cas de la Licra. Ce qui est illégal, c’est lorsqu'une association déborde complètement concrètement du critère d’intérêt communal».

Le prêt gracieux d’un local par la mairie à une association est-il «illégal» ?

Non, c’est une pratique très fréquente et une forme de subvention pour les associations à but non lucratif. Mais là aussi le maire doit le justifier par l’intérêt général local. Depuis la loi de simplification du droit du 12 mai 2009, l’article L2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques prévoit que, par exception au principe d’exigibilité d’une redevance, que «l’autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public peut être délivrée gratuitement aux associations à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d’un intérêt général ».

La commune peut cependant interdire tout usage politique, syndical ou religieux d'un local si elle le souhaite.

Quel parallèle peut-on faire avec les politiques de coupes de subventions pratiquées par les maires FN élus en 1995 ?

Depuis les années 1990, le régime d’attribution de subventions a été revu suite à plusieurs cas d’abus (jusqu'à l’enrichissement personnel des bénéficiaires). Désormais, le versement de subvention doit être, à partir de 23 000 euros annuels, assorti d’une «convention d’objectifs». Une commune ne peut plus financer «dans le vide»; l'association doit en contrepartie justifier d’une action concrète (montage d’une exposition, achat de matériel, accueil de tel ou tel public en difficulté).

«Le FN a clairement tiré les leçons des expériences de 1995» estime Frédéric Rolin. «Désormais, ils jouent clairement sur des analyses plus étayées... Mais cela va être plus difficile pour eux de s’attaquer avec succès avec des associations qui mènent des actions locales concrètes». Pour Serge Slama, «le fond idéologique est le même, ce n’est un secret pour personne. Mais juridiquement parlant, ils sont beaucoup plus fins et compétents qu’avant. Ils ont choisi cet arrêt justement parce qu’on peut jouer sur ses frontières d’interprétation».

Ce type de contentieux est-il spécifique à l’extrême droite ?

Non, absolument pas. C'est même d'une affreuse banalité en cas d'alternance politique. «L’attribution des subventions est un domaine où l’arbitraire joue à plein, ce qui n'est ni de gauche ni de droite» soulignent les deux juristes. Frédéric Rolin évoque l’attribution des subventions aux associations sportives, «un gros classique : un maire peut décider de financer un club de foot et pas un autre. Dans une commune d’Ile-de-France, la municipalité [de gauche] avait elle décidé de subventionner toutes les associations sportives, sauf le club de tir». La particularité du FN, c'est avant tout le choix de la médiatisation et de la mise en scène de ce type de contentieux.

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